Les critiques à l’égard de la compensation carbone se multiplient depuis quelque temps. De nombreux témoignages relatent les violations des droits humains auxquels les projets exposent les populations locales et les autochtones. D’autres cas remettent en cause leur intérêt dans le domaine des énergies renouvelables. D’autres encore contestent leur rendement climatique, notamment lorsqu’il s’agit de calculer les émissions évitées dans le cadre de projets forestiers. C’est par exemple le cas des projets certifiés par la société étatsunienne Verra. Le 31 janvier 2023, cette dernière a répondu longuement aux critiques formulées par The Guardian, Die Zeit et SourceMaterial.
Le 27 janvier, Sustainable Fitch, une branche du géant des services financiers Fitch Group, a renforcé les doutes sur la question. Cette fois, ce sont les mécanismes de captage, stockage et valorisation du CO2 (CSCV) qui font l’objet d’une analyse critique par l’agence. Les gouvernements affirment que la technologie CSCV est essentielle pour atteindre leurs objectifs de décarbonation. Selon le scénario « Net Zero by 2050 » (zéro émission nette d’ici 2050) de l’Agence internationale de l’énergie, la capacité d’absorption annuelle du CSCV devrait être multipliée par 40 entre 2020 et 2030 pour atteindre 1,6 milliard de tonnes de dioxyde de carbone à l’échéance. Cependant, Fitch prévoit que le potentiel n’atteindra pas 200 millions de tonnes en 2030.
Il existe actuellement près de 30 projets de CSCV opérationnels. Selon Fitch, leur avenir est très aléatoire. Cela est dû au délai de mise en œuvre des projets, à l’incertitude de la demande et à la baisse du coût des énergies renouvelables. Les tentatives de modernisation de la technologie dans les centrales au charbon ont été avortées en raison d’obstacles techniques et financiers, et l’on note peu de mise en œuvre réussie dans les centrales à gaz. Dans les secteurs industriels où les combustibles fossiles sont encore peu concurrencés par les énergies propres (acier, ciment…), le CSCV en est encore à ses balbutiements. Investir dans une technologie aussi risquée et à forte intensité de capital ne semble pas être une solution durable. Début septembre 2022, une autre étude avait abouti à des conclusions similaires.
De plus, les investisseurs pourraient être confrontés à un retour de bâton en investissant dans des projets de CSCV en raison de leurs liens avec l’industrie des combustibles fossiles. Le plus souvent, le dioxyde de carbone capturé est utilisé pour augmenter le rendement des puits de pétrole, aggravant ainsi les risques d’écoblanchiment pour les investisseurs.
Cet avertissement semble avoir été entendu par la Net-Zero Asset Owner Alliance (NZAOA). Lancé en septembre 2019 sous l’égide des Nations Unies, ce groupe d’investisseurs représente plus de 11 000 milliards de dollars d’actifs sous gestion. Le 31 janvier 2023, l’Alliance a dévoilé la troisième version de son protocole qui servira de guide aux investisseurs pour élaborer leurs plans d’action visant à réduire les émissions de carbone dans les portefeuilles (Target Setting Protocol). La NZAOA déclare que les émissions des sous-portefeuilles devraient être réduites de 22 à 32 % d’ici 2025, et de 40 à 60 % d’ici 2030. Elle précise que les membres devraient donner la priorité aux réductions d’émissions plutôt qu’aux absorptions de carbone. Le protocole interdit d’ailleurs à ses membres l’utilisation des dispositifs d’absorption de carbone pour atteindre leurs objectifs de réduction avant 2030.