Les compensations carbone sont non seulement contestées par les milieux écologistes, mais aussi par des chercheurs, et ce, pour plusieurs raisons. Ils reprochent notamment à ces procédures de détourner l’attention du véritable enjeu : réduire les rejets de GES au lieu de les compenser. Mais des réserves sont également émises sur la qualité des crédits carbone. À ce titre, le média en ligne Bloomberg Green a publié, le 21 novembre 2022, une analyse très critique de ces mécanismes.
Cette étude s’appuie sur l’examen de quelque 215 000 transactions de compensation réalisées au cours de la dernière décennie. Elle conclut que de nombreuses grandes entreprises, qui recherchent ou revendiquent la neutralité carbone, utilisent désormais largement le type de compensations le moins cher et le plus « suspect », à savoir celles qui sont liées à des projets d’énergies renouvelables (hydroélectriques, solaires, éoliens). Ainsi, en 2021, sur 190 millions de tonnes de compensations carbone achetées à travers plus de 50 000 transactions, près de 40 % provenaient de projets d’énergies renouvelables.
Les achats de crédits rattachés au soutien de projets solaires ou éoliens semblent bons pour le climat. Néanmoins, Bloomberg Green et plusieurs experts sont d’un autre avis. Pour justifier ces transactions, leurs promoteurs affirment que le financement d’une « bonne » activité permet d’éviter le développement d’une « mauvaise » activité génératrice d’émissions (c’est ce que l’on appelle les émissions évitées). Mais dans la réalité, un grand nombre de projets, en particulier en Chine, auraient été de toutes les manières construits simplement parce que le gouvernement le souhaitait. Les capitaux obtenus grâce aux compensations ne les ont pas rendus viables, mais ont juste augmenté leur rentabilité. De nombreuses « compensations renouvelables » ont émergé alors que les énergies solaires et éoliennes s’étaient déjà imposées comme les sources d’énergie les moins chères dans la plupart des pays. Autrement dit, vendre des compensations à petit prix pour soutenir le développement des énergies renouvelables n’apporte aucun véritable avantage, puisque leur coût est déjà moins élevé que les montants nécessaires pour construire de nouvelles centrales au charbon ou au gaz. La contribution financière obtenue grâce aux compensations est donc disproportionnée par rapport au bénéfice carbone qui leur est attribué.
L’analyse des données de grandes entreprises, lorsqu’elles sont disponibles, montre également que les firmes privilégient ce type de compensation fondé sur la création de projets d’énergies renouvelables car il est peu onéreux. Le prix moyen d’une « compensation renouvelable » était d’environ 2 dollars la tonne en 2021, tandis que les compensations de bien meilleure qualité visant à éliminer le carbone, telles que celles vendues par la société islandaise Climeworks pour transformer le CO2 en concrétion, peuvent coûter jusqu’à 600 dollars la tonne. Un examen attentif montre, par exemple, que la moitié des compensations de Delta Air Lines provient d’énergies renouvelables, principalement des projets éoliens et solaires en Inde. Les certificats plus stricts qui ont pour but d’éliminer le carbone ne constituaient que 6 % de ses crédits carbone en 2021. Quant à La Poste, les projets renouvelables représentaient les trois quarts des 2 millions de compensations achetées l’année dernière.
Les entreprises qui acquièrent des compensations se concentrent ainsi davantage sur le coût que sur l’efficacité ou la crédibilité de ces instruments. Selon les estimations d’Ecosystem Marketplace, le marché total des compensations carbone s’est élevé à 2 milliards de dollars en 2021. Les experts s’attendent à ce qu’il soit multiplié par au moins 10 à mesure que les sociétés se fixent des objectifs climatiques et adoptent les solutions les moins coûteuses pour les atteindre. Or, le marché mondial des compensations carbone n’est pas réglementé.