Pour compenser les émissions de carbone, les plantations d’arbres se multiplient à travers le monde, mais menacent les droits des populations

La multiplication des engagements des entreprises, des collectivités et des États visant à atteindre la neutralité carbone a encouragé le développement des projets de compensation carbone et, en particulier, des plantations d’arbres. Cet appétit pose beaucoup de problèmes. Tout d’abord, de nombreux observateurs estiment que cela peut fournir aux émetteurs de GES un prétexte pour limiter leurs efforts de réduction de rejets et que les compensations naturelles ne devraient être utilisées que pour les « émissions résiduelles ». D’autres attirent l’attention sur la mauvaise qualité ou l’inadéquation de certaines plantations. De son côté, l’association Oxfam souligne que les scénarios de séquestration du carbone dans le sol grâce aux plantations d’arbres sont surréalistes et que ces pratiques vont concurrencer les cultures destinées à l’alimentation (IE n° 350).

D’après un rapport publié en octobre 2021, l’Inde fait partie des quinze pays au monde ayant le plus fort potentiel de réduction de GES grâce à la protection, l’entretien et la restauration des forêts, et à la réduction des rejets causés par l’agriculture. Au début du XXe siècle, environ 80 % de son territoire était recouvert de forêts. Aujourd’hui, le couvert forestier serait tombé à moins de 20 %. Une part importante de cette dégradation est due au développement de projets industriels et miniers. Pour compenser la perte de surface forestière, l’Inde s’est munie d’une loi en 2016. La Compensatory Afforestation Fund Act dispose notamment qu’une entreprise détournant des terrains forestiers doit en proposer d’autres en compensation afin d’effectuer un reboisement.

Mais ce système éloigne les populations locales de leurs terres et les prive de revenus indispensables. Les données du gouvernement indien estiment que cent millions de personnes habitant dans environ cent soixante-treize mille villages vivent de la collecte et de la vente de produits forestiers (bois de chauffage, bambou, broussailles, canne, cocons, miel, cire, plantes médicinales, herbes). Cela représente entre 20 et 40 % des revenus annuels des villageois. L’accès aux espaces consacrés à la restauration forestière leur est interdit. Ces zones sont clôturées, les outils des villageois leur sont confisqués, ces derniers sont menacés et font l’objet d’arrestations pour intrusion… Lorsqu’une plantation compensatoire est autorisée, les populations doivent, en principe, être consultées et ont droit à des indemnités. Mais, malgré les dénégations de l’Autorité indienne de gestion et de planification du Fonds de reboisement compensatoire (CAMPA), ces obligations sont fréquemment contournées, les droits fonciers sont peu respectés et les habitants, rarement informés.

Pourtant, des alternatives existent, mais elles sont encore très rares. Le village de Meenangadi (État du Kerala), par exemple, a instauré un dispositif qui permet d’impliquer les agriculteurs locaux. Ils peuvent ainsi recevoir gratuitement de jeunes arbres du panchayat (conseil du village). De plus, le conseil leur prête cinquante roupies (0,6 euro) par arbre planté pour chaque année où ils le conserveront en terre, et ce, jusqu’en 2031. À l’issue de cette période, le prêt sera annulé, et ils pourront faire ce que bon leur semblera de ces arbres. Avec ce projet, l’objectif de Meenangadi est de devenir le premier village indien neutre en carbone d’ici 2025.