La Malaisie et l’Indonésie produisent 85 % de l’huile de palme mondiale. Pour ces deux pays, l’Union européenne représente respectivement 12 et 14 % de leurs exportations de cette matière première. Mais cette production est accusée de participer à la déforestation. Un constat qui envenime depuis plusieurs années les relations entre l’Union et les deux pays. Cela a notamment été le cas lorsque l’Europe a décidé que les agrocarburants produits à partir d’huile de palme ne seraient plus pris en compte pour la minoration du taux de la TIRIB (taxe incitative relative à l’incorporation de biocarburants).
Le 6 décembre 2022, le trilogue européen a conclu un accord provisoire pour mettre un terme à l’importation de produits issus de la déforestation. Il s’appliquera à plusieurs produits, dont l’huile de palme et certains de ses dérivés. Les entreprises importatrices devront montrer quand et où les produits ont été fabriqués, et fournir des informations vérifiables indiquant qu’ils ne sont pas issus de terres déboisées après 2020, sous peine de fortes amendes. Lorsque la réglementation entrera en vigueur, les opérateurs concernés auront 18 mois pour se mettre en conformité.
La Malaisie et l’Indonésie comptent plus de 3 millions de petits exploitants qui représentent environ 30 % de leur production d’huile de palme. Les gouvernements des deux pays condamnent l’initiative européenne et affirment que la directive marginalisera les petits exploitants agricoles, car ces derniers seront incapables de respecter les nouvelles normes. Les petits agriculteurs craignent surtout de ne pas pouvoir s’adapter aux règles de traçabilité qu’imposera l’Union en raison des démarches informelles qu’ils utilisent actuellement dans les transactions d’huile.
Selon la fondation indonésienne Madani, la plupart des petits planteurs s’appuient en effet sur un réseau informel d’intermédiaires, ce qui rend difficile la traçabilité de l’huile de palme. Par ailleurs, une faible proportion d’entre eux dispose de registres des ventes, de certificats d’enregistrement de leurs plantations, de titres de propriété clairs et de déclarations de gestion environnementale. D’après une étude réalisée en juillet 2022 par l’organisation Chain Reaction Research (CRR), les coûts de mise en conformité des petits exploitants pour tracer leurs produits pourraient représenter jusqu’à 3,5 % de leurs revenus. Par conséquent, l’importance des sanctions prévues par la directive pourrait pousser les producteurs à écarter tout risque et à exclure les petits exploitants de leurs chaînes d’approvisionnement.
Pourtant, le syndicat indonésien des producteurs d’huile de palme (SPKS) a salué la future directive européenne. Il ne la considère pas comme une menace, mais comme une opportunité de renforcer les liens avec l’UE. Il reconnaît toutefois que les petits exploitants ne pourront pas s’aligner sur les nouvelles exigences sans l’aide des entreprises, des gouvernements et des bailleurs de fonds. Aussi lance-t-il un appel allant dans ce sens.
La directive propose un soutien financier et technique aux petits agriculteurs afin qu’ils puissent se développer de manière durable, se procurer un revenu décent et adopter les meilleurs dispositifs de traçabilité. Il faudra cependant une réelle implication des institutions européennes pour appuyer concrètement cette mise en conformité des petits exploitants, mais également une contribution active de la part des principaux acteurs économiques, comme les grandes firmes consommatrices. En France, des groupes tels que Carrefour, Casino, Danone ou L’Oréal sont concernés par cette interpellation du SPKS. Certains d’entre eux, comme L’Oréal ou Danone, font état dans leur communication externe d’initiatives visant à aider les petits planteurs indépendants à se mettre en conformité avec leurs politiques de développement durable. Toutefois, il est probable que les entreprises devront multiplier ces initiatives pour répondre pleinement aux besoins des petits exploitants.