Carrefour retire les produits russes de ses rayons, mais s’apprête à vendre des articles en territoire palestinien occupé

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a provoqué de nombreuses réactions citoyennes à l’encontre des sociétés qui poursuivent leurs activités en Russie ou avec la Russie. Certaines de ces réactions ont consisté à appeler au boycott des produits de ces firmes. Dans ce contexte, des enseignes de la grande distribution ont pris les devants et ont supprimé de leurs rayons les produits russes. C’est le cas du groupe français Carrefour.

Mais l’entreprise fait l’objet de protestations pour une autre raison. En effet, le 8 mars 2022, elle a annoncé qu’elle allait s’implanter en Israël avant la fin de l’année et qu’elle avait conclu un accord de franchise avec la société israélienne Electra Consumer Products et sa filiale Yenot Bitan. Cet accord permettra notamment aux quelque cent cinquante magasins Yenot Bitan de distribuer des produits de la marque Carrefour. Or, des associations accusent cette chaîne de mener des activités à Ariel et à Ma’aleh Adumim, deux colonies israéliennes situées en Cisjordanie. Le droit international considère que ces implantations sont illégales. À ce titre, Carrefour fait partie des groupes qui font régulièrement l’objet d’appel au boycott de la part des militants de la cause palestinienne.

En 2009 et 2010, des militants du Collectif Palestine 68 avaient pris part à des actions à l’intérieur de l’hypermarché Carrefour d’Illzach (Haut-Rhin). Ils exhortaient les clients du magasin à ne pas acheter de produits israéliens et leur proposaient de signer une pétition pour demander à la chaîne de supermarchés de ne plus mettre en vente ces produits. À la suite de leur deuxième intervention, le procureur de la République de Colmar a cité onze militants à comparaître devant le tribunal correctionnel de Mulhouse pour avoir « provoqué à la discrimination, à la haine, à la violence, à l’égard d’un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une race, une religion, une nation ». Il convient de rappeler que l’hypermarché ne s’était pas constitué partie civile.

Le tribunal a acquitté les militants. Mais, en novembre 2013, la Cour d’appel de Colmar les a condamnés. Et, en octobre 2015, la Cour de cassation a confirmé ces condamnations. Ces onze personnes ont saisi la Cour européenne des droits de l’Homme en mars 2016. Le 11 juin 2020, cette dernière a considéré que l’appel au boycott des produits israéliens ne pouvait pas constituer en soi une infraction pénale, car il était couvert par la liberté d’expression. La France n’a pas fait appel de l’arrêt.

Pour autant, le 20 octobre 2020, le ministère français de la Justice a adressé une dépêche aux procureurs relative « à la répression des appels discriminatoires au boycott des produits israéliens ». Le ministère semble vouloir préserver la pénalisation des appels au boycottage. En effet, le document indique que l’appel au boycott de produits originaires d’un État constitue un délit de presse. Néanmoins, ce ne sont en réalité pas les appels au boycott en général qui ont l’air de poser problème, mais celui des produits israéliens. La circulaire entretient d’ailleurs une confusion entre appel au boycott des produits israéliens et antisémitisme, sans expliquer clairement où se trouve la limite. Pour les activistes, les deux situations – agression de l’Ukraine par la Russie et occupation de territoires palestiniens par Israël – se ressemblent et ne justifient pas deux interprétations différentes. En tous les cas, cette différence de posture pourrait relancer la polémique et les actions à l’encontre du groupe Carrefour.