De nombreux symptômes montrent que les (faibles) progrès obtenus en matière de réduction des GES pourraient encore ralentir

Les auditions de personnalités par les commissions de l’Assemblée nationale sont souvent riches en enseignements, y compris lorsqu’elles impliquent des patrons d’entreprise. Le 17 septembre 2025, Rodolphe Saadé, président-directeur général du groupe CMA-CGM, était entendu par la commission des affaires économiques. À une question portant sur la décarbonation posée par Marie-Noëlle Battistel, la représentante du groupe Socialistes et apparentés, Rodolphe Saadé a répondu : « [Nous avons] pris l’engagement d’être carbone zéro en 2050. Nous sommes aujourd’hui en 2025 et, si je suis honnête avec vous, je me demande comment on va faire pour y parvenir. »

Le patron de CMA-CGM incrimine la faible implication des pouvoirs publics et, pour ce qui est des activités ayant une portée internationale, les divergences qui s’expriment sur la scène internationale. Mais ce constat bat aussi en brèche un argument selon lequel un comportement responsable pourrait constituer un avantage économique. Ce raisonnement, entendu naguère dans certains milieux d’affaires, tend à disparaître. En matière climatique, l’analyse des faits montre que des gains ont été réalisés en matière de rejets de GES lorsqu’il s’est agi, dans le même temps, de générer des économies d’énergie, d’optimiser les taux de remplissage des moyens de transport de marchandises, de mieux entretenir les chaudières ou d’accélérer (légèrement) la rotation de certains matériels immobilisés. Mais ces démarches ont prouvé leurs limites quand il a fallu s’attaquer à des investissements plus conséquents qui reflétaient une logique économique inadaptée aux nouveaux enjeux.

Le 18 septembre, les organisations France Nature Environnement (FNE) et Réseau Action Climat (RAC) ont publié la 3e édition de leur rapport sur les 50 sites industriels les plus émetteurs de CO2 en France. Leurs conclusions semblent confirmer ce constat. En 2024, les rejets de l’industrie française n’ont reculé que de 1,4 % par rapport à 2023. L’industrie demeure le troisième émetteur de GES en France, derrière les transports et l’agriculture. La baisse avait été plus significative entre 2022 et 2023 (-10,2 %). Mais la tendance générale reste incontestablement modeste, et ce, en dépit de substantielles aides accordées par l’ADEME depuis 2021 (près de 1,2 milliard d’euros aux seuls 50 sites, selon le rapport). Les auteurs de l’étude relèvent diverses initiatives (captage du carbone, fours électriques, hydrogène vert…). Mais celles-ci demeurent, pour la plupart, à l’état d’étude. Ils constatent aussi que la sobriété en énergie et en matières premières est encore peu mise en œuvre. Par ailleurs, l’inconstance législative freine sensiblement les décisions d’investissement.

L’usine d’ArcelorMittal de Dunkerque reste le principal site émetteur (8 500 000 tonnes de CO2eq). Le groupe a suspendu ses projets de décarbonation en Europe fin 2024. En avril 2025, il a annoncé un plan social touchant 636 postes en France. Le 15 mai, il a finalement déclaré son intention d’investir 1,2 milliard d’euros dans la construction d’un four à arc électrique à Dunkerque. Cette promesse est cependant conditionnée à l’application du plan acier décidé par l’Union européenne.

Malgré cet engagement, les critiques continuent de pleuvoir à l’égard du géant de l’acier. Il a émis plus de 100 millions de tonnes de CO2eq en 2024. Le groupe s’était fixé des objectifs ambitieux en 2021. Dans une analyse datant du 23 septembre, le média Trellis constate que si, en valeur absolue, les émissions de l’entreprise ont chuté de près de moitié depuis cette date, cela est presque exclusivement dû à la baisse de la production et à la vente d’actifs. Sur cette même période, l’intensité carbone n’a diminué que de 5,4 % à l’échelle mondiale. Entre 2021 et 2024, les investissements alloués à la décarbonation n’auraient atteint que 1 milliard de dollars. Dans le même temps, la société aurait versé 12 milliards de dollars à ses actionnaires (dividendes et rachats d’actions), selon l’association SteelWatch.