Décidément, la société française TotalEnergies reste un des principaux terrains d’expérimentation sur la question du dialogue et de l’engagement actionnarial. L’une des pratiques susceptibles de servir dans ce domaine est la demande, par des actionnaires, d’inscription de résolution à l’ordre du jour des assemblées générales. Ce mode d’action, très courant aux États-Unis, est encore peu utilisé en France. Depuis quelques années, TotalEnergies a fait l’objet de plusieurs inscriptions ou tentatives d’inscriptions de résolutions.
C’est le cas en 2011, sous l’inspiration de l’association Greenpeace France. Mais elle a été enlevée à la suite des retraits de deux codéposants de la coalition d’actionnaires. En 2016, l’association ShareAction avait menacé de déposer une résolution. Total avait alors accepté de publier un rapport sur sa gestion des risques climatiques, désamorçant ainsi l’offensive de l’association britannique. En 2020, deux « résolutions climatiques » étaient proposées aux actionnaires. L’une était soutenue par le conseil d’administration de la société, et a été adoptée, l’autre non. Cette dernière a toutefois recueilli 16,8 % des votes. En 2022, une nouvelle coalition d’actionnaires a engagé une démarche pour déposer un projet de résolution portant à nouveau sur le climat. Elle n’a pas été agréée par le conseil d’administration, bien que les codéposants aient représenté le pourcentage de capital requis par la loi. En 2023, deux nouveaux projets de résolution, consultatifs, étaient présentés au suffrage des actionnaires, dont l’un était soutenu par le conseil d’administration. La résolution externe a été rejetée par les actionnaires, mais a recueilli 30,44 % des voix.
Deux freins s’opposent donc à l’utilisation de cet outil d’interaction actionnariale que constitue le dépôt de projets de résolution externe. Le premier est la proportion de capital détenu par les codéposants qu’exige la législation française. En France, les investisseurs semblent désormais plus actifs, repoussant ainsi, en partie, cette contrainte. Les acteurs de la finance responsable militent toutefois pour un abaissement du seuil. Le 12 mars dernier, à l’occasion d’une proposition de loi du député Holroyd, la ministre déléguée chargée des Petites et Moyennes Entreprises, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme a d’ailleurs concédé qu’il fallait revoir le seuil actuel à la baisse, mais qu’il fallait aussi se donner le temps de la réflexion.
Le deuxième frein résulte du bon vouloir de la société émettrice. Dans les cas rappelés ci-dessus, on constate que les projets présentés ont été acceptés uniquement lorsque le conseil d’administration avait soutenu des résolutions « voisines » mais moins exigeantes. En l’état actuel du droit, la décision d’un conseil d’administration d’accepter ou non l’inscription d’une résolution à l’ordre du jour de son assemblée ne peut faire l’objet d’aucun recours auprès d’une quelconque instance. En avril 2020, le Forum pour l’investissement responsable (FIR) avait exprimé le vœu que l’AMF (Autorité des marchés financiers) soit chargée d’arbitrer la recevabilité des résolutions proposées.
Le 18 avril 2024, appuyée par le FIR, la fondation suisse Ethos a déposé un nouveau projet de résolution (consultative) à l’ordre du jour de l’assemblée de TotalEnergies. Celui-ci demande aux actionnaires de dissocier les fonctions de président du conseil d’administration et de directeur général, conformément à l’article 15 des statuts. Comme l’expliquent les codéposants : « La concentration des pouvoirs aux mains d’une seule et même personne représente en effet un risque intrinsèque de conflits d’intérêts. » Mais lors de sa séance du 25 avril 2024, le conseil d’administration de TotalEnergies a décidé à l’unanimité de ne pas inscrire cette proposition à l’ordre du jour de l’assemblée. Pour le conseil, « le choix du mode de gouvernance relève de la compétence exclusive du conseil d’administration ».
De fait, le conseil d’administration de TotalEnergies verrouille pratiquement tous les aspects de la vie actionnariale de la société. Partant de cette observation, il ne reste guère de possibilités aux actionnaires de remettre en question cette situation, hormis celle de s’opposer à la réélection des administrateurs, ce qui serait susceptible de déstabiliser fortement l’entreprise. Les porteurs du projet de résolution rejeté ont décidé de lancer une action en justice « pour permettre à des résolutions consultatives de pouvoir être déposées ».