Dans toutes les régions du monde, les travailleurs migrants sont exposés à des risques d’exploitation abusive. Ce fléau ne touche pas que les personnes en situation irrégulière qui sont, par nature, très vulnérables. L’exploitation est parfois aussi organisée, comme l’atteste le cas emblématique et médiatique du Qatar dans le cadre de la préparation de la Coupe du monde de football. Mais cette situation se rencontre également en Europe, où la main-d’œuvre se fait rare dans certains secteurs, notamment dans l’agriculture.
Le quotidien britannique The Guardian a ainsi révélé fin août 2022 que des ouvriers indonésiens cueillant des fruits dans une ferme qui approvisionne la grande distribution au Royaume-Uni s’étaient endettés entre 4 400 et 5 000 livres sterling (environ 5 800 euros) auprès d’intermédiaires non agréés pour venir travailler en Grande-Bretagne durant une seule saison. La ferme emploie 1 200 personnes en moyenne chaque saison pour récolter des framboises, des fraises, des mûres et des prunes. Les frais comprenaient le prix des vols, les visas, des frais de formation et d’autres dépenses. Or, le droit du travail britannique interdit de facturer des frais aux travailleurs pour leur trouver un emploi.
Malgré la législation, les cueilleurs risquent de se retrouver dans une situation de servitude pour dettes, car les modestes rémunérations versées permettent difficilement de rembourser ces frais exorbitants. Cette situation relève de l’esclavage moderne. Les ouvriers indonésiens ont été amenés par AG Recruitment, l’une des quatre agences britanniques autorisées à recruter grâce à des visas de travailleurs saisonniers.
Néanmoins, elle n’avait aucune expérience avec l’Indonésie quand elle a décidé de recruter dans ce pays. Elle a donc demandé le concours d’Al Zubara Manpower, situé à Jakarta, qui, à son tour, s’est adressé à des courtiers sur d’autres îles et qui facturaient des frais aux personnes qu’ils présentaient. L’agence a déclaré qu’elle n’était pas au courant que des courtiers indonésiens avaient facturé ces « prestations ». De plus, elle a souligné que lors de recrutements directs en Indonésie, elle avait bien précisé qu’il était illégal de percevoir des frais pour proposer un emploi. Ces propos ont été confirmés par des ouvriers aux journalistes du Guardian. Mais ces travailleurs ont aussi rapporté que les courtiers locaux leur avaient demandé de ne pas divulguer ce qu’ils avaient versé.
Le ministère de l’Intérieur britannique et la Gangmasters and Labor Abuse Authority (GLAA), un organisme public qui enquête sur l’exploitation par le travail au Royaume-Uni, examinent les allégations. De leur côté, le Bureau indonésien de protection des travailleurs migrants (BP2MI) et les enseignes de distribution citées (Marks & Spencer, Waitrose, Sainsbury’s et Tesco) ont lancé des enquêtes. Toutes les marques ont affirmé qu’elles ne toléraient pas ce type de pratique. Reste à savoir quelles vont être, concrètement, les conséquences pour les ouvriers, qui se retrouvent illégalement dans une très périlleuse situation de surendettement. Ce cas devrait également alerter tous les secteurs confrontés au recrutement de travailleurs à l’étranger, en particulier dans les pays lointains.