Aux États-Unis, la guerre entre les pro et les anti-ESG fait rage et investit la scène politique

L’action gouvernementale est essentielle pour s’attaquer au changement climatique ou à d’autres problématiques dites ESG (environnementales, sociales et de gouvernance). Cependant, la lenteur avec laquelle les législations évoluent nécessite aussi de mener des actions individuelles ou collectives. Ces initiatives ne pallient pas l’action publique, mais peuvent lui servir de marchepied pour relever régulièrement le niveau d’exigence minimal. L’investissement socialement responsable (ISR) fait partie de ces initiatives, mais il fait actuellement l’objet de critiques fournies pour se livrer massivement au greenwashing.

L’affaire DWS a grandement justifié ces accusations. Filiale de la Deutsche Bank, DWS est la première société de gestion allemande. Le 25 août 2021, le Wall Street Journal a révélé qu’elle était au cœur d’une enquête de la part de la Securities and Exchange Commission (SEC) étatsunienne pour avoir très largement gonflé ses encours gérés suivant des critères ESG. Au mois de septembre 2021, l’organisation InfluenceMap a examiné 723 fonds en actions, dont 593 revendiquaient être gérés selon une base étendue de critères ESG et 130 s’affichaient comme des fonds liés à l’action climatique. L’organisation a classé les fonds en fonction de leur degré d’alignement sur les objectifs énoncés dans l’accord de Paris. Elle a ainsi déterminé que 71 % des fonds ESG n’étaient pas alignés avec les ambitions climatiques mondiales. Au début de l’année 2022, le 10 février, le Financial Times a révélé que le fournisseur de données Morningstar avait, fin 2021, examiné en détail les fonds qui figuraient sur sa liste européenne de fonds durables. À la suite de cette analyse, l’agence a retiré de cette liste plus de 1 200 fonds.

Les institutions ont réagi à ces accusations qui montaient en puissance depuis quelque temps. Des amendements à la directive européenne sur les marchés d’instruments financiers (MiFiD II) sont entrés en vigueur le 2 août 2022. Les gestionnaires de fonds sont désormais tenus de fournir des données liées à l’ESG pour tous les produits disponibles dans l’Union. Les informations doivent être délivrées dans un format normalisé de 580 champs. Mais la plupart de ces champs sont conditionnels (requis uniquement pour certains secteurs et zones géographiques) ou facultatifs. De son côté, le 21 mars 2022, la SEC a approuvé un projet visant à obliger toutes les sociétés cotées en Bourse à communiquer leurs émissions de gaz à effet de serre et les risques auxquels elles sont confrontées en raison du changement climatique. Les grandes entreprises seront donc tenues de faire vérifier leurs données par un cabinet d’audit indépendant.

Aux États-Unis toutefois, les opposants à la prise en compte de critères ESG dans la gestion des entreprises sont passés à l’offensive, surtout depuis qu’une partie du pays se mobilise sur certains thèmes de société. Début juillet, l’agence Reuters a fait le point. Elle a relevé, depuis le début de l’année, au moins 44 projets de loi ou nouvelles lois dans 17 États républicains qui pénalisent les entreprises ayant engagé des politiques sociales ou environnementales, contre une douzaine seulement en 2021. Les institutions financières ont été les principales cibles de ces décisions, en raison du rôle central qu’elles jouent quant à l’attitude embrassée par de nombreuses firmes sur des questions telles que le financement des combustibles fossiles et des armes à feu.

La Virginie-Occidentale et l’Arkansas, par exemple, ont cessé de faire appel à BlackRock pour certaines prestations. Au Texas, JPMorgan Chase & Co., Bank of America et Goldman Sachs ont été écartées du marché des obligations municipales en raison de lois adoptées en 2021 qui interdisent aux entreprises de « boycotter » l’industrie des armes à feu ou les sociétés impliquées dans les énergies fossiles. JPMorgan a souscrit pour 3,2 milliards de dollars d’obligations municipales du Texas l’année dernière, et seulement 210 millions depuis le début de l’année 2022. Bank of America, qui a souscrit 3,7 milliards de dollars en obligations municipales du Texas en 2021, n’en a pour sa part souscrit aucune cette année. Récemment, le représentant républicain texan Briscoe Cain a déclaré qu’il envisageait d’interdire aux entreprises qui font des affaires dans son État de rembourser les frais ou les déplacements liés à des avortements.

Les républicains ont déjà clairement indiqué leur intention de faire de l’ESG une cible lors des élections de mi-mandat de novembre. Certes, certains États dirigés par des démocrates cherchent à faire pencher la balance. Mais, pour l’heure, ces initiatives se font en ordre dispersé.