Une entreprise peut-elle mener une politique responsable sans s’interroger sur la répartition de la valeur qu’elle crée ? C’est, sans doute, de plus en plus difficile. Mais, lorsqu’il s’agit de biens et services essentiels relatifs à la santé, comme les vaccins contre la COVID-19, cette question devient incontournable. Dans un rapport publié le 21 septembre 2021, l’association Amnesty International accuse six laboratoires pharmaceutiques qui ont développé des vaccins contre la COVID-19 d’alimenter une « crise des droits humains sans précédent ». L’ONG vilipende leur refus de renoncer vraiment à leurs droits de propriété intellectuelle, de partager les technologies facilitant l’élaboration de vaccins et d’accroître l’approvisionnement mondial en doses.
L’association a évalué les performances de six fabricants de vaccins contre la COVID-19 (Pfizer et BioNTech, Moderna, Johnson & Johnson, AstraZeneca et Novavax). Elle affirme qu’aucun d’entre eux ne respecte ses propres engagements en matière de droits humains. À ce jour, seulement 0,3 % des 5,76 milliards de doses de vaccin distribuées dans le monde sont allées dans des pays à faible revenu, et près de 80 % ont été livrées aux pays riches.
Le rapport indique notamment que Pfizer et BioNTech ont jusqu’à présent livré neuf fois plus de vaccins à la Suède (qui compte 10 millions d’habitants) qu’à l’ensemble des pays à faible revenu (670 millions d’individus). L’entreprise BioNTech a déclaré à Amnesty qu’elle s’efforcerait de fournir 2 milliards de doses aux pays à revenu faible et intermédiaire en 2021 et 2022. Moderna n’a pas encore apporté une seule dose de vaccin à un pays à faible revenu et honorera l’essentiel de ses livraisons au programme COVAX (l’initiative mondiale visant un accès équitable à la vaccination contre la COVID-19) l’année prochaine. Johnson & Johnson a refusé d’accorder une licence au laboratoire canadien Biolyse qui proposait de fabriquer des millions de doses. Johnson & Johnson a toutefois déclaré à Amnesty avoir établi douze partenariats de fabrication et d’approvisionnement sur quatre continents. De son côté, AstraZeneca s’est engagé à vendre ses vaccins à prix coûtant, a fourni la majorité des doses pour le programme COVAX et a partagé ses connaissances et sa technologie avec vingt fournisseurs. La société a cependant refusé de diffuser plus largement sa propriété intellectuelle. Pour AstraZeneca, renoncer aux droits de propriété intellectuelle n’aide pas à répondre à la demande mondiale. La principale contrainte réside dans le temps nécessaire pour transférer les connaissances techniques permettant de produire le vaccin ainsi que dans l’absence de fabricants spécialisés capables de mettre rapidement en place les moyens industriels pour fabriquer un vaccin sûr et efficace.