Interpellation de Total sur sa posture face à la crise birmane : l’éternel retour

La signature, en 1992, d’un contrat d’exploration-production de gaz en Birmanie (Myanmar) a marqué, pour Total, le point de départ d’une visibilité internationale dont le groupe se serait peut-être bien passé. Dès l’assemblée générale du 30 mai 1994, des actionnaires ont commencé à dénoncer les relations qu’entretenait l’entreprise avec le régime militaire du pays et l’appui financier que ce projet allait procurer à la junte. Serge Tchuruk, qui était à l’époque le président de la compagnie, défendait déjà la présence de son groupe en soulignant que le « droit au développement économique [était] un droit de tous les peuples et, notamment, des peuples à faible revenu » et s’en remettait aux décisions des États quant à la poursuite de ses activités dans le pays.

Les arguments de l’entreprise ont peu évolué depuis. Total insiste sur le fait que sa présence permet de fournir de l’électricité à une partie de la population et attend les éventuelles sanctions décidées par les États. Mais si, en Birmanie, le revenu par habitant a considérablement augmenté depuis 1992, les indicateurs mesurant le développement humain sont nettement moins flatteurs. En 2019, le pays était ainsi positionné au 183e rang mondial sur l’échelle de développement humain (indice de développement humain, IDH) établi par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Le coup d’État militaire du 1er février – qui a déjà causé la mort de plusieurs centaines de personnes, des arrestations arbitraires et une terrible répression – démontre également qu’un développement économique est loin de générer un développement démocratique.

De nombreuses organisations à travers le monde enjoignent les entreprises à rompre ou à suspendre les contrats qu’elles ont avec des instances contrôlées par les militaires ou qui leur bénéficient. Total est concerné par cette demande puisqu’une partie des revenus résultant de l’exploitation des gisements gaziers est versée à l’État ou à des structures qui sont contrôlées par les militaires. C’est pourquoi, le 19 mars, sept associations françaises ont publié un communiqué de presse dans lequel elles « [exhortent] Total à suspendre tout paiement à la junte en plaçant les millions d’euros en jeu sur un compte bloqué ». L’entreprise a rarement répondu favorablement à ce type de réclamation, sauf lorsqu’il s’avérait impossible de faire assurer la sécurité de son personnel. En revanche, il est certain que cette exigence va rejoindre la longue liste des interpellations de la compagnie sur des questions sociales, sociétales ou environnementales, en particulier lors de ses assemblées générales.