Avoir recours à la sous-traitance comporte de nombreux avantages. Cela permet au donneur d’ordres de confier tout ou partie des composants ou services intégrés dans son offre à des spécialistes qui maîtrisent mieux les coûts que lui grâce à leur savoir-faire et/ou aux volumes qu’ils produisent. De plus, l’acheteur a la possibilité d’exercer une deuxième action sur les prix d’achat en mettant en concurrence différents prestataires. De manière générale, il peut également externaliser les coûts qu’il ne souhaite pas lui-même assumer, y compris ceux qui sont liés à des contraintes écologiques et sociales.
Mais faire appel à la sous-traitance comporte aussi des inconvénients, et notamment celui de perdre une partie de la maîtrise du processus de production, tant au niveau des délais de livraison que de la qualité de la production. Cela constitue un risque important pour le secteur du luxe qui, de surcroît, s’expose à des actes de contrefaçon. L’industrie se prémunit contre ce dernier danger grâce à différentes mesures. Les dépenses enregistrées dans ce cadre par LVMH, par exemple, s’élèvent chaque année à plusieurs dizaines de millions d’euros. L’entreprise dispose d’une direction spécialisée dans la lutte anti-contrefaçon et a établi des relations avec les autorités gouvernementales et les douanes.
Mais ces dispositifs ne règlent pas tous les problèmes, en particulier les questions liées aux conditions de travail chez les sous-traitants. Le 25 septembre 2024, l’hebdomadaire italien Internazionale a publié sur la Toile les déconvenues des nombreuses petites entreprises de production de chaussures travaillant pour le secteur du luxe en Roumanie. Il prend l’exemple de la société Selezione, installée à Brașov, qui produisait pour Gucci, Christian Dior et Tod’s depuis de nombreuses années, et qui a dû fermer ses portes en décembre 2023, laissant 152 personnes au chômage. Le journal explique que dans ce pays, les rémunérations sont très basses (2 350 lei par mois à l’époque de la fermeture, soit 472 euros). Cela choque quand on compare ces salaires aux prix de vente des chaussures sur le marché. Mais depuis, ils ont fait l’objet de plusieurs ajustements, ce qui a rendu les coûts salariaux moins avantageux, et ce, dans un environnement de plus en plus compétitif. De fait, les grandes marques ont brutalement modifié leurs stratégies : baisse du prix d’achat des marchandises, puis cessation totale des commandes, le tout sans compensation.
Pour autant, le « retour » en Italie n’a pas amélioré les conditions de travail de tous les ouvriers. Ainsi, au cours de l’année 2024, Dior, l’une des marques de LVMH, a fait l’objet d’une controverse. Les autorités milanaises ont placé sous administration judiciaire Manufactures Dior Srl, en particulier pour les conditions de travail déplorables découvertes chez certains de ses sous-traitants. Parallèlement, l’agence Reuters a publié une enquête en août 2024 concernant des manquements quant aux déclarations de Christian Dior UK sur le contrôle de sa chaîne d’approvisionnement, spécifiquement dans sa lutte contre le travail forcé. Cela confirme la faiblesse du dispositif de contrôle mis en place par la maison.
C’est dans ce contexte que le groupe LVMH a annoncé le 27 novembre la création d’une nouvelle direction industrielle consacrée à l’intégration verticale chez Christian Dior Couture. Le poste de directeur industriel sera occupé par Giorgio Striano, ancien directeur général d’EssilorLuxottica. Il supervisera l’ensemble des opérations industrielles et rapportera directement à Delphine Arnault, P.-D.G. de Christian Dior Couture. Pour le groupe, « il est crucial de renforcer [ses] processus de production tout en intégrant pleinement les principes éthiques et artisanaux qui définissent Dior ». Il était temps de prendre conscience que le contrôle de la chaîne d’approvisionnement a un intérêt pour maîtriser non seulement la qualité économique des achats, mais aussi leurs qualités sociale et environnementale.