La santé des populations de poissons et des réseaux fluviaux dans lesquels ils vivent est très importante et répond à des enjeux culturels, récréatifs ou économiques. Les saumons, qui remontent certains cours d’eau pour rejoindre leurs zones de frai, sont particulièrement concernés par cette question. Les barrages hydroélectriques sont des ouvrages qui perturbent considérablement leur cycle. Récemment, la ville de Seattle (États-Unis) a accepté d’intégrer la construction de passes à poissons dans sa demande de renouvellement de licence d’exploitation de trois barrages sur la rivière Skagit qui alimentent la ville en électricité.
Le fleuve Klamath prend sa source dans l’Oregon et parcourt plus de 400 kilomètres. Il traverse le nord de la Californie et se jette dans l’océan Pacifique. Le 11 janvier 2024, un tunnel a été ouvert à la base du barrage Iron Gate, situé en amont du Klamath, pour laisser s’écouler l’eau. L’objectif est de démolir cet édifice. En juin 2023, des travaux de destruction d’un plus petit barrage (Copco 2) ont été lancés. Ils se sont achevés à l’automne dernier. Deux autres ouvrages doivent être démantelés cette année. Ces travaux interviennent après plusieurs décennies de débats et d’activisme, notamment de la part des Premières Nations de la région (Yurok, Karuk, Hupa).
Les barrages de la rivière Klamath ont été construits entre 1908 et 1962. Ils ont électrifié cette partie du pays difficile d’accès, et alimenté en énergie et en eau les industries émergentes de l’agriculture et du bois. De fait, les montaisons de saumons ont connu un fort déclin, et le régime alimentaire des peuples autochtones vivant le long du Klamath a radicalement changé. De nombreux Karuks ont cessé de manger du saumon royal au printemps dans les années 1970. D’autres aliments initialement importants – comme la lamproie ou l’esturgeon – ont eux aussi grandement diminué. Le nombre de cas de diabète a augmenté au sein des tribus. Et en août dernier, les Yuroks ont célébré leur 59e fête annuelle du saumon… sans saumon.
Historiquement, il y a plusieurs opposants au démantèlement des barrages : agriculteurs pour l’accès aux ressources hydriques, riverains qui voient la valeur de leurs propriétés situées au bord des lacs menacée, amateurs de loisirs nautiques, etc. Malgré ces oppositions, la décision a été prise de détruire ces installations pour des raisons écologiques et économiques. Il s’agit du plus grand projet de suppression de barrage et de restauration de rivières de l’histoire des États-Unis. L’opération Lower Klamath fait partie d’un mouvement croissant visant à supprimer des barrages à travers tout le pays. Plus de 2 000 d’entre eux y ont été détruits depuis 1912, selon l’ONG American Rivers. Cela représente une petite fraction des barrages existants. Toutefois, près de la moitié de ces démolitions ont eu lieu au cours de la dernière décennie. Ce rythme devrait s’accélérer dans les années à venir.
Les scientifiques espèrent qu’à terme, la suppression des barrages contribuera à faire rebondir la population de saumons. L’opération entraînera de profonds changements physiques sur la rivière, en particulier le débit, la température de l’eau et la géomorphologie du chenal. Après un siècle de séparation, les parties inférieure et supérieure du bassin seront reconnectées. Cela aidera les poissons à mieux résister aux vagues de chaleur, aux épidémies, et à accroître leur diversité génétique. La restauration de régimes d’écoulement et de sédiments plus naturels réduira le risque global de maladie des poissons en perturbant les cycles de vie complexes des parasites.
La stabilisation du lit du fleuve et le rétablissement de l’équilibre des écosystèmes prendront du temps. Au cours des cinq dernières années, les membres de la tribu Yurok ont collecté des milliards de graines de plantes indigènes et des milliers d’arbustes dans le bassin versant de la rivière Klamath pour les placer dans les zones où se trouvent actuellement les barrages et leurs réservoirs.