Le Brésil est un grand pays (15 fois la superficie de la France et 3 fois sa population, 10e économie mondiale selon le FMI). Mais c’est aussi l’un des pays du monde où les inégalités sont le plus marquées, si l’on se réfère à la World Inequality Database et à son rapport sur le sujet. La victoire, fin 2022, de Luiz Inácio Lula da Silva sur le président sortant, Jair Bolsonaro, a suscité beaucoup d’espoir chez les supporters de la démocratie, de la préservation de l’environnement et de la défense des peuples autochtones. Le gouvernement détient la majorité absolue au Sénat (42 sièges sur 81) et une majorité relative à la chambre basse (Câmara dos Deputados).
Malgré cette configuration apparemment favorable pour le gouvernement, l’évolution du corpus juridique risque d’être compliquée, compte tenu du morcellement du Parlement, des jeux d’alliance et du pouvoir des États fédérés. Le 30 mai 2023, la Câmara, y compris avec l’appui d’alliés politiques du président Lula, a approuvé le projet de loi PL 490/2007 à une très large majorité.
Celui-ci restreint la reconnaissance légale des territoires autochtones dans le pays. Il institue notamment un cadre temporel (marco temporal) pour les revendications foncières des autochtones. Ainsi, ne pourront être considérées comme une terre « traditionnelle » que celles qui étaient occupées à la date de promulgation de la Constitution (5 octobre 1988), et utilisées à des fins productives et nécessaires à la préservation des ressources naturelles. Ce projet ne tient pas compte du fait que de nombreuses communautés ont été expulsées de leurs territoires ancestraux bien avant cette date. Ses opposants estiment qu’il viole les droits des peuples autochtones garantis par la Constitution. Le litige a été présenté à la Cour suprême, qui a reporté sa décision au mois d’octobre.
Le lobby agroalimentaire, les agriculteurs, les éleveurs de bétail, les mineurs et les bûcherons se réjouissent de ce vote qui, s’il est validé, lèvera un obstacle au développement de leurs activités contestées par les défenseurs de l’environnement et des droits des Premières Nations.
Le PL 490/2007 prévoit aussi que les travaux d’infrastructures (routes, barrages hydroélectriques…) sur les terres autochtones puissent être engagés sans consultation des communautés ou de l’organisme autochtone fédéral compétent. Il autorise également l’exploitation des ressources naturelles sur les terres indigènes et remet en question le statut des terres autochtones déjà reconnues. Il pourrait ainsi entraîner la perte de 63 % des terres autochtones reconnues par l’État ou en cours de reconnaissance, selon le média Congresso em Foco. Les conflits fonciers et la violence pourraient être amplifiés dans un contexte initialement très tendu.
Le projet doit encore être accepté par le Sénat. Pour l’heure, aucune date n’a été fixée pour le vote à la chambre haute. Le président peut également mettre son veto à tout ou partie de la loi. Ce veto peut cependant être annulé par le Congrès, largement favorable à l’agro-industrie.
La Chambre basse a aussi approuvé la mesure provisoire pour la restructuration du gouvernement (Esplanada). Le Sénat l’a confirmée le 1er juin. Cette décision réduit les compétences du ministère de l’Environnement et du Changement climatique ainsi que celles du ministère des Peuples autochtones. Ce dernier – une nouveauté instituée par le président Lula au début de son mandat – se voit retirer sa principale prérogative, à savoir la démarcation des terres indigènes à travers l’agence brésilienne des affaires indigènes, la FUNAI. Cette amputation du portefeuille du ministère des Peuples autochtones s’est faite avec l’aval du chef de l’État, et cette compétence sera désormais exercée par le ministère de la Justice et de la Sécurité publique.
La ministre de l’Environnement Marina Silva, quant à elle, perd, entre autres, le contrôle du Registre environnemental rural (Cadastro Ambiental Rural – CAR). Ce document foncier autodéclaratif, considéré comme défectueux et utilisé pour faciliter l’accaparement des terres, est toutefois essentiel pour maîtriser les délits environnementaux sur les propriétés rurales (occupation illégale, déforestation…). Il offre une sorte de radiographie environnementale des propriétés. Le CAR est confié au ministère de la Gestion et de l’Innovation dans les services publics. La ministre perd aussi son autorité sur la gestion de l’eau. Les hostilités à l’encontre de Marina Silva ont commencé, y compris de la part de ses alliés politiques, lorsque l’IBAMA, l’agence brésilienne de réglementation de l’environnement, a refusé à la société pétrolière publique Petrobras une demande de forage sur le bloc FZA-M-59, situé à 175 kilomètres au large des côtes de l’État d’Amapá, à l’embouchure du fleuve Amazone.
À la suite de ces décisions, certains ont fait part de leur inquiétude quant au véritable engagement environnemental et climatique du président Lula, et à sa réelle volonté de protéger les peuples autochtones.