Le recours sans discernement et sans limites aux agrocombustibles peut produire un remède pire que le mal

L’utilisation de biodiesel à base de graisses animales a doublé au cours de la dernière décennie et a été multipliée par 40 depuis 2006. L’Union européenne a fait de ce sous-produit de l’élevage industriel un enjeu pour réduire l’impact carbone des carburants destinés au transport. Elle vise désormais les avions et, dans une moindre mesure, les navires. La graisse animale est déjà largement employée dans les secteurs des aliments pour animaux de compagnie, des savons et des cosmétiques. Or, pour répondre aux besoins du transport, la consommation de biocarburants à base de graisses animales devra tripler d’ici 2030. Cela provoquera des tensions sur l’offre. Certains secteurs pourraient en pâtir et chercher à remplacer cette matière première par d’autres solutions bon marché comme l’huile de palme.

Dans une nouvelle étude, l’association Transport & Environment (T&E) explique que cette évolution n’est pas soutenable. Elle appelle à une plus grande transparence pour que les consommateurs sachent ce qu’il se passe dans leurs réservoirs et ce qui alimente leurs vols.

Les grandes compagnies aériennes pensent déjà à conclure d’importants accords avec les fournisseurs de produits pétroliers pour s’approvisionner en « sustainable aviation fuels » (SAF). Le détail des matières premières utilisées dans les SAF est souvent vague. Mais les projections du cabinet de conseil dans le secteur énergétique Stratas Advisors montrent que les graisses animales et l’huile de friture usagée devraient être les matières premières issues de déchets les plus couramment utilisées dans les SAF. T&E a calculé qu’un vol Paris-New York avec uniquement un carburant à base d’esters et d’acides gras hydrotraités (HEFA) nécessiterait les graisses de 8 800 porcs morts.

L’association avertit que si à cause des tensions sur l’offre, l’industrie oléochimique (savons, cosmétiques) devait remplacer les graisses animales par de l’huile de palme vierge, les émissions de CO2 induites seraient égales à 1,7 fois celles résultant du recours au diesel conventionnel. C’est pourquoi T&E appelle les décideurs politiques à exclure les graisses animales de catégorie 3 (les seules pouvant être utilisées pour les humains ou les animaux) de la liste des matières premières éligibles pour les agrocarburants.

Dans un autre registre, le 1er juin 2023, l’organisation à but non lucratif The Gecko Project a publié une enquête dans laquelle elle montre qu’une société pétrogazière indonésienne a bénéficié de fonds verts alors qu’elle participe à la déforestation du pays.

En 2022, l’Indonésie a conclu un accord avec les pays du G7 par lequel elle s’engage à produire plus d’un tiers de son énergie à partir de sources renouvelables d’ici 2030. Cet objectif intègre la biomasse. Par ailleurs, le pays profite de financements du Fonds vert pour le climat des Nations Unies. Celui-ci verse des sommes à la BPDLH, une agence du ministère des Finances en charge de la gestion des fonds liés à la protection et à la conservation de l’environnement en Indonésie.

Le groupe pétrolier indonésien Medco (coté à la Bourse de Jakarta) détient une centrale électrique à biomasse et une plantation de bois. Entre 2017 et 2021, il a bénéficié de deux tranches de financement de la part de PT SMI, une société contrôlée par le ministère indonésien des Finances qui a pour mandat de financer les énergies renouvelables, et de la BPDLH pour un montant de 140 milliards de roupies (8,7 millions d’euros).

Or, entre 2010 et 2014, Medco a défriché quelque 3 000 hectares de forêt tropicale pour créer une plantation d’arbres. L’entreprise a par ailleurs récemment déclaré qu’elle avait l’intention de défricher 2 500 hectares supplémentaires de terre pour alimenter sa centrale biomasse. Elle n’a pas explicitement dit qu’il s’agirait de forêt tropicale, mais Gecko pense qu’elle continuera de cibler ce type d’écosystème. L’organisation s’appuie sur son analyse de la déforestation passée de Medco et de l’emplacement de la forêt restante dans la zone de licence de l’entreprise pour justifier ses propos. De son côté, le groupe de réflexion indonésien Trend Asia a publié en août 2022 une étude (en indonésien) dans laquelle il estime que le plan du pays visant à augmenter la production de biomasse pourrait entraîner le défrichement de plus d’un million d’hectares de forêt tropicale.