De 2002 à 2008, le gouvernement soudanais a commis des violations massives des droits humains ayant entraîné la mort de plus de 300 000 personnes (selon les Nations unies), en particulier au Darfour. Pour se maintenir en place, le régime d’Omar el-Béchir avait besoin des revenus générés par ses ressources pétrolières, qui sont négociées en dollars. Or, l’administration Clinton a imposé en 1997 un embargo sur toutes les transactions bancaires internationales en dollars du Soudan, accusé de soutenir le terrorisme international.
La banque française BNP Paribas a contourné cet embargo, notamment par sa filiale BNPP Geneva. Entre 2002 et 2007 inclus, elle s’est entendue avec des banques et entités soudanaises « pour violer l’embargo américain en donnant aux banques et entités soudanaises accès au système financier américain », donnant ainsi au dictateur soudanais les moyens d’acheter des armes qu’il a utilisées contre sa propre population. BNPP a été informée des préoccupations des autorités étatsuniennes concernant sa conduite, de même que de potentielles entorses aux sanctions imposées à l’Iran et à Cuba, dès décembre 2009. Le 30 juin 2014, la banque a accepté de plaider coupable et de payer une amende de 8,97 milliards de dollars.
Mais l’affaire ne s’est pas arrêtée là. En avril 2016, des réfugiés soudanais ont intenté une action contre la banque. Selon eux, en contournant sciemment l’embargo mis en place par les États-Unis au Soudan, la banque a aidé le gouvernement soudanais à financer les atrocités dont ils avaient été victimes, eux, leurs familles et des centaines de milliers de Soudanais. En mars 2018, la cour de district de New York Sud a rejeté cette plainte. Mais, le 22 mai 2019, la deuxième cour d’appel fédérale des États-Unis (Manhattan) a infirmé ce jugement. Puis, le 18 avril 2024, le juge Alvin Hellerstein, du district sud de l’État de New York, a jugé que la requête des plaignants était, en définitive, bien recevable. Le 9 mai 2024, le juge a accueilli favorablement une demande visant à accréditer le recours collectif de plus de 20 000 réfugiés et demandeurs d’asile soudanais.
Dans le cadre de cette affaire (Kashef et al. v. BNP Paribas SA et al.), le 17 octobre 2025, après 5 semaines d’audience tenue devant le juge Hellerstein, un jury fédéral a déclaré que les services financiers apportés par BNP Paribas au régime d’Omar el-Béchir constituaient une « cause naturelle et adéquate » du préjudice subi par les survivants du nettoyage ethnique et des violences de masse. Il a condamné BNPP à verser un montant global de près de 21 millions de dollars de dommages et intérêts à trois réfugiés soudanais. Ce jugement ouvre la voie à des actions de la part des quelque 20 000 autres réfugiés et demandeurs d’asile. D’après Bloomberg Intelligence, la pression pour un accord amiable va s’intensifier, et la somme pourrait atteindre plusieurs milliards de dollars.
De son côté, BNPP estime que le jugement repose sur une mauvaise interprétation du droit suisse et qu’il omet des preuves importantes que la banque n’a pas été autorisée à présenter. Elle pense aussi que ce jugement ne devrait pas être suivi par d’autres. Elle affiche donc sa volonté de faire appel. Quoi qu’il en soit, cette atmosphère d’incertitude a déclenché une petite crise sur le titre, qui a perdu 10 % le 20 octobre.
