La prise en compte de critères ESG dans la gestion des fonds de retraite d’American Airlines est illégale. Les actionnaires de Costco rejettent un projet de résolution externe anti-ESG

En juin 2024, un pilote d’American Airlines, Bryan Spence, a intenté une action contre son entreprise devant un tribunal fédéral de district du Texas. Il reprochait à son employeur d’avoir mal géré le 401(k) (l’épargne-retraite des employés) en investissant auprès de gestionnaires de fonds qui « poursuivent des agendas politiques de gauche » par le biais de stratégies ESG, de votes par procuration (proxies) et d’activisme actionnarial. L’initiative a été reconnue comme action de groupe au nom des 100 000 cotisants au régime.

Le 10 janvier 2025, le juge Reed O’Connor a rendu son jugement. Il a considéré qu’American Airlines et son comité des avantages sociaux des employés n’avaient pas manqué à leur devoir fiduciaire de prudence, car leurs actions dans le cadre du suivi des plans 401(k) en cause étaient conformes aux normes en vigueur dans le secteur. En revanche, il a estimé que les défendeurs avaient manqué à leur devoir fiduciaire de loyauté en vertu de l’Employee Retirement Income Security Act de 1974 (ERISA).

Dans son arrêt, Reed O’Connor a rappelé que BlackRock, le gestionnaire des deux plans, exerçait ostensiblement des droits d’actionnaire au nom de ces plans sur la base de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) non pécuniaires. Il a aussi souligné qu’il était un actionnaire important d’American Airlines (près de 5 % du capital) et qu’il adoptait dans son approche certains critères ESG qui correspondaient à la politique de développement durable d’American Airlines. La cour a donc déclaré que les défendeurs n’avaient pas dissocié leurs intérêts en tant que société et leur relation avec le gestionnaire, y compris en ce qui concerne les engagements ESG de l’entreprise et les choix ESG du gestionnaire. De fait, ils avaient permis que leurs plans de retraite de 26 milliards de dollars soient influencés par des objectifs d’entreprise sans rapport avec le meilleur intérêt financier des salariés. Le tribunal a différé sa décision sur les questions des potentiels dommages-intérêts et des recours.

Si le jugement constitue une victoire pour les anti-ESG, il ne clôt pas pour autant le débat. Tout d’abord parce que Reed O’Connor, réputé statuer fréquemment en faveur des plaignants conservateurs, appuie largement son argumentation sur le potentiel conflit d’intérêts qui accompagne le choix du gestionnaire par American Airlines. Ensuite, parce qu’il n’est pas démontré que la prise en compte d’objectifs non financiers dans la gestion financière n’apporte pas d’avantages pécuniaires aux actionnaires. Sur un sujet similaire, mais en Australie en 2018, Mark McVeigh, un jeune salarié cotisant au fonds de retraite australien REST, avait déposé un recours contre la société dépositaire du fonds à propos des diligences et actions engagées par le fonds pour répondre spécifiquement aux risques induits par le changement climatique. Le 2 novembre 2020, les parties ont finalement conclu un accord dans lequel le fonds de pension a accepté d’intégrer les risques financiers liés au changement climatique dans ses investissements et de mettre en œuvre un objectif d’empreinte carbone nette zéro d’ici 2050.

L’offensive des anti-ESG se ressent aussi dans les assemblées générales des entreprises. Le groupe de réflexion conservateur National Center for Public Policy Research (NCPPR) avait déposé un projet de résolution à l’ordre du jour de l’assemblée générale du groupe de distribution étatsunien Costco, qui s’est déroulée le 23 janvier dernier. Ce projet demandait à Costco de publier un rapport sur les risques financiers liés au maintien de ses objectifs de diversité et d’inclusion. Le conseil d’administration avait recommandé à ses actionnaires de voter contre cette résolution. Les actionnaires ont été convaincus par les arguments du conseil, puisque plus de 98 % d’entre eux ont voté contre le projet, selon les résultats préliminaires.