Le règlement des différends entre investisseurs et États met en danger les pays les plus fragiles et la lutte pour la protection de l’environnement

Le règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE), ou Investor-state dispute settlement en anglais (ISDS), permet aux investisseurs étrangers de poursuivre en justice les gouvernements lorsque ces derniers ont pris des mesures susceptibles d’affecter la valeur de leurs investissements. Un nombre croissant de dirigeants politiques, d’avocats et d’ONG mettent en garde contre ce système d’arbitrage en droit international, qui ralentit l’action climatique et affaiblit les démocraties fragiles.

Le 10 octobre 2024, l’association britannique Global Justice Now a lancé une campagne d’opinion pour demander au ministre du Commerce d’abandonner l’accord entre le Royaume-Uni et la Colombie, qui contient l’ISDS. Elle constate que le montant des réclamations faites à la Colombie s’élève à 13 milliards de dollars, soit plus de 13 % de son budget annuel. Les poursuites sont intentées par des sociétés minières des pays du Nord en réponse aux politiques du pays pour protéger la nature, préserver l’eau potable et garantir la souveraineté des peuples autochtones. La communauté Wayuu, par exemple, a été dépossédée d’une partie de ses terres par l’immense mine de charbon de Cerrejón exploitée par Glencore. Puis elle a obtenu une décision contre son expansion. Mais le géant minier a ignoré cette décision en raison de la plainte ISDS qu’il a déposée.

Sur le même sujet, le 3 octobre 2024, quatre organisations ont publié un rapport intitulé The Corporate Assault on Honduras. Ce document explique comment le RDIE prospère dans ce pays. Le Honduras est l’un des pays les plus pauvres d’Amérique latine, et le taux d’homicides, y compris contre les journalistes et les personnalités politiques, y est l’un des plus élevés au monde. L’étude met aussi en avant le fait que la vague de plaintes déposées contre l’État concerne des contrats ou des lois adoptées après le coup d’État militaire de 2009, qui a installé une narco-dictature pendant 12 ans. Cette période a été marquée par une recrudescence de la corruption et de la violence.

Le Honduras est confronté à 15 demandes RDIE. Le montant total de 11 d’entre elles atteint 14 milliards de dollars. La plupart des plaintes sont consécutives aux mesures prises par le gouvernement actuel, démocratiquement élu fin 2021, pour renégocier des contrats, réformer ou abroger des lois adoptées au cours des années qui ont suivi le coup d’État. Le rapport décrit plusieurs exemples de ces investissements « de type mafieux ». Ils sont reliés à des irrégularités (comme des contrats sans appel d’offres), à la corruption, à des réseaux criminels, à des cartels de la drogue ou à des cadres juridiques qui ont été adoptés de manière antidémocratique.

Ainsi, dans les années qui ont suivi le coup d’État de 2009, le gouvernement a adopté une loi permettant à des intérêts privés de créer des enclaves semi-autonomes habilitées à promulguer leurs propres lois et réglementations civiles, à lever des impôts et à établir leurs propres tribunaux. À la suite de son élection fin 2021, la présidente actuelle, Xiomara Castro, a abrogé cette loi. En réaction, une société américaine, Honduras Próspera Inc., a déposé une plainte RDIE, réclamant plus de 10 milliards de dollars d’indemnité. La moitié des autres affaires RDIE concerne le secteur de l’énergie, qui a été soumis à une vague de privatisations après le coup d’État. Le rapport décrit les irrégularités généralisées associées à ces contrats.

Il cite également l’exemple de la construction et de l’exploitation d’une route à péage reliant les côtes atlantique et pacifique du Honduras. Les opposants, dont beaucoup étaient pauvres, ne voulaient pas payer pour circuler sur une route existante que leurs impôts avaient déjà financée. Ils ont manifesté, et les postes de péage ont été incendiés en 2017. Lorsque le contrat a été rendu public en 2018, il a montré qu’il ne contenait aucune analyse coûts-bénéfices, qu’il autorisait les investisseurs à réaliser des études déterminant le revenu annuel minimum qu’ils recevraient, et qu’il imposait de lourdes pénalités au gouvernement en cas d’annulation anticipée du contrat. En 2023, les investisseurs du projet, dont JPMorgan Chase et deux fonds d’investissement de Goldman Sachs, ont déposé une plainte RDIE réclamant près de 180 millions de dollars, bien plus que les 42,8 millions de dollars qu’ils avaient investis.