Les ONG attaquent en justice les États sur leurs politiques climatiques. Les entreprises aussi, et cela peut rapporter très gros. Le cas de Rockhopper

Depuis quelques années, les organisations œuvrant pour la défense de l’environnement ont développé des stratégies qui intègrent l’action juridique. Une analyse de la London School of Economics and Political Science (LSE), publiée le 7 septembre 2022, révèle que 80 litiges-cadres sur le climat ont été déposés contre des gouvernements depuis 2005. Parmi ces cas, 56 ont été déposés contre des gouvernements nationaux, et 24 contre des gouvernements infranationaux. Le rapport indique aussi que depuis 2017, le nombre d’affaires n’a cessé d’augmenter et a atteint un record de 30 nouveaux cas en 2021. De plus, une « petite mais significative minorité » d’actions sont engagées dans les économies émergentes. Ainsi, 8 affaires ont été déposées en Amérique latine et 7 en Asie du Sud.

Plus récemment, on assiste, sur ce terrain, à une accélération de la contre-offensive menée par les opposants à l’intégration des dimensions sociales et environnementales dans le management des entreprises. Le 24 août 2022, un panel de trois arbitres a alloué à l’unanimité à la société pétrolière britannique Rockhopper Exploration plc plus de 190 millions d’euros de compensation à la suite du refus du gouvernement italien de lui accorder une concession pétrolière offshore. Cette somme représente cinq fois le montant investi par la compagnie, estimé à 33 millions de livres sterling (38 millions d’euros).

Petit historique. Entre 2010 et 2012, l’Italie a limité les activités pétrolières et gazières situées à moins de 12 miles marins de ses côtes. En 2012, ces restrictions ont été temporairement levées. En 2014, Rockhopper a acquis Mediterranean Oil & Gas. Cette société bénéficiait d’un permis d’exploration dans cet espace maritime. En décembre 2015, le gouvernement italien a réintroduit l’interdiction des concessions côtières. En réponse, Rockhopper a déposé une plainte contre l’Italie en 2017, en vertu du traité sur la Charte de l’énergie (TCE).

Le TCE, qui est actuellement renégocié, est un traité d’investissement qui permet de faire appel au règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE). Le RDIE donne la possibilité aux investisseurs étrangers de porter plainte contre les gouvernements lorsque les politiques ont un impact négatif sur eux, et de leur réclamer une indemnisation qui peut représenter plusieurs fois ce qu’ils ont initialement investi. Pour les sociétés pétrogazières, une victoire devant ce tribunal d’arbitrage leur permet donc de réinvestir les sommes obtenues dans d’autres projets, qui sont le plus souvent dans le domaine de l’extraction d’hydrocarbures. Après cet arbitrage, le directeur général de Rockhopper a d’ailleurs déclaré que cela aiderait le groupe à financer les projets de forage au large des îles Malouines.

De très nombreux traités bilatéraux d’investissement donnent accès au RDIE. Mais le TCE est le plus utilisé par les investisseurs. Dans une étude publiée le 5 mai 2022 dans la revue Science, quatre chercheuses et chercheurs de l’université de Boston ont montré que 19 % des projets pétroliers et gaziers, qui sont incompatibles avec une trajectoire de 1,5 °C pour atténuer les impacts du changement climatique, sont protégés par des traités. Cela représente, pour les sociétés pétrolières et gazières, 340 milliards de dollars d’indemnités potentielles.