Toujours très contesté, le marché de la compensation carbone essaie de regagner la confiance des acheteurs

Le 9 avril dernier, l’initiative Science Based Targets (SBTi) a laissé entendre que les certificats environnementaux, dont les crédits carbone, pourraient être utilisés pour compenser les émissions de scope 3. Devant la levée de boucliers suscitée par cette annonce, tant de la part d’ONG que de certains salariés de la SBTi, cette dernière a voulu rassurer et a tempéré ses propos. Mais pour les associations, les compensations ne peuvent en aucun cas neutraliser les rejets de GES. La priorité doit rester de réduire, en volume, les émissions de gaz à effet de serre.

Cette prescription est d’autant plus insistante que bon nombre de projets de compensation carbone sont très critiquables quant à leur efficacité et leurs « effets secondaires » sur les populations locales. Le 3 mai 2024, l’Aide ecclésiale suisse HEKS/EPER a ainsi publié une enquête sur un projet de plantation d’arbres en Sierra Leone (district de Port Loko). Le programme porte sur 25 000 hectares de terres et vise le stockage de 12 millions de tonnes de CO2 sur 50 ans.

Les observations et les interviews menées sur le terrain font état de très nombreuses lacunes. Les familles n’avaient par exemple aucune idée de ce qu’étaient les certificats de CO2, ni que les baux portaient sur une durée de 50 ans. Les consentements écrits ont été recueillis auprès d’un nombre de membres des familles nettement inférieur à ce qu’exige le droit foncier sierra-léonais. Presque la totalité des femmes interrogées ont déclaré qu’elles n’étaient pas suffisamment impliquées dans les négociations sur l’accord foncier. La manière dont les propriétaires fonciers obtiendront la part de 10 % des bénéfices promise reste inconnue. Certains arbres nouvellement plantés sont déjà morts, et la région est très sujette aux incendies de brousse et de forêt, ce qui suscite de sérieux doutes quant à la possibilité d’atteindre la quantité de stockage de CO2 annoncée.

Bien que le projet ne soit pas encore certifié par Verra – la société retenue par les promoteurs du programme –, des droits sur des certificats de CO2 ont déjà été vendus à BP Carbon Trading pour 1,5 million de dollars. Verra, le premier organisme mondial de la certification de la compensation carbone, devrait être très prudent avant de certifier ce projet, dans la mesure où la qualité de ses travaux fait l’objet de vives contestations.

L’ICVCM (Integrity Council for the Volontary Carbon Market), créé en 2021 pour discipliner et développer le secteur naissant de la compensation carbone, vient d’agréer 5 organismes de certification couvrant 98 % du marché de la compensation carbone : Gold Standard, ACR, Climate Action Reserve, ART et Verra. Le but est de restaurer la confiance des acheteurs devenus méfiants par crainte de greenwashing. L’ICVCM a déclaré que Verra avait apporté des changements importants à ses procédures. Celles-ci comprennent de nouveaux dispositifs de surveillance, des systèmes de réclamation et des précisions claires sur les accords de partage des bénéfices avec les communautés locales.

S’ils reposent sur des méthodologies approuvées, les certificateurs bénéficiant d’une autorisation pour leurs programmes pourront apposer aux crédits carbone qu’ils émettent le label de qualité « Core Carbon Principles » (CCP). L’ICVCM espère ainsi renverser la stagnation actuelle du marché dans un contexte encore plus perturbé par la révocation récente du permis d’exploitation du projet de conservation Rimba Raya en Indonésie. Couvrant une réserve tropicale de 64 000 hectares, ce projet prétend être l’un des plus grands projets du marché volontaire du carbone à s’appuyer sur la nature.