Deux nouveaux projets de compensation naturelle contestés au Brésil et au Kenya

La proposition de directive actuellement en discussion au Parlement européen prévoit d’interdire de faire référence à des dispositifs de compensation carbone pour justifier un objectif de neutralité carbone. En effet, ces dispositifs sont très contestés : ils détournent les efforts de la priorité absolue (à savoir réduire les rejets de GES, et non pas les compenser) ; ils sont parfois de médiocre qualité ; ils ouvrent la porte à la spéculation, voire à la corruption ; ils affectent le cadre de vie des populations autochtones, etc. Le 27 mars 2023, le média sur Internet Context a dévoilé un nouveau scandale touchant ce type d’activité. Il porte sur un projet de conservation dans la forêt amazonienne au Brésil. Des crédits carbone provenant de terres publiques auraient été vendus sans l’accord de l’État.

Le litige concerne le projet Jari Pará REDD+ qui couvre 497 000 hectares. Il est géré par Jari Celulose, une firme brésilienne qui produit de la cellulose soluble dans l’eau, et Biofílica Ambipar Environment, spécialisée dans les compensations carbone. Jari Celulose affirme détenir ces terres depuis 1948. Celles-ci sont censées générer des crédits carbone et procurer à la société des revenus entre 2014 et 2044. Malgré l’imbroglio juridique, les éléments collectés par Context semblent montrer que l’une des parcelles (Fazenda Saracura, 386 000 hectares) est en réalité la propriété de l’État. Les documents soumis en 2019 au géant de la certification Verra présentaient pourtant Jari Celulose comme « le propriétaire légitime » du domaine Gleba Jari I où se situe le projet. En 2020, Verra a donc autorisé Jari Celulose à émettre des crédits carbone. Mais à la suite des révélations de Context, elle a lancé un examen du projet et suspendu l’émission de nouveaux crédits carbone.

En Amazonie brésilienne, la propriété foncière est une source persistante de différends. Le système d’enregistrement est fragile, et les pratiques visant à revendiquer la propriété sur des terres publiques en utilisant des documents fabriqués de toutes pièces ou modifiés sans autorisation légale sont courantes. Les crédits carbone compliquent les choses et introduisent une nouvelle forme d’accaparement des terres. Dans ce contexte, Verra est plus attentive. En janvier dernier, la fiabilité de ses certifications de projets forestiers avait été mise en cause par une enquête de trois organes de presse : The Guardian, Die Zeit et SourceMaterial. À la suite de cette enquête, Verra avait indiqué qu’elle prévoyait d’éliminer et de remplacer son programme de compensation du carbone dans les forêts tropicales d’ici juillet 2025.

Des problèmes se posent également ailleurs sur la planète, et notamment au Kenya. Le Northern Kenya Grassland Carbon Project est le plus grand projet de compensation carbone prairial au monde (1,9 million d’hectares). Il a été qualifié d’exemplaire lors de la COP27 par le président kenyan William Ruto. Il prévoit d’éliminer 50 millions de tonnes de CO2 en 30 ans en organisant mieux les parcours de pâturage des éleveurs pastoraux grâce à une nouvelle méthodologie. Ce projet est mené par Northern Rangelands Trust (NRT). Mais dans un rapport publié le 16 mars 2023, l’association Survival International remet en cause les avantages engendrés par le projet.

Pour l’ONG, NRT ne peut pas calculer avec précision le stockage de carbone additionnel généré par cette méthodologie et modifie des pratiques ancestrales de pâturage du bétail. Elle ajoute que les populations géraient déjà depuis toujours leurs schémas de pâturage pour y préserver la végétation, et s’interroge donc sur l’apport du dispositif. Par ailleurs, NRT ne peut pas empêcher les éleveurs de faire paître leur bétail en dehors des limites de la zone consacrée à la compensation. Cela signifie que la sauvegarde de la zone peut se faire au détriment des aires voisines. C’est ce que l’on appelle les « fuites ».

NRT a critiqué le rapport de Survival International et affirme qu’il apporte peu de preuves remettant « en question un modèle exceptionnellement complexe et détaillé ». L’organisme soutient que l’ONG a fait une série d’erreurs factuelles sur la façon dont les économies de carbone du projet ont été calculées. Bien qu’elles fassent l’objet d’estimations, les « fuites » résultant du bétail broutant dans les zones voisines sont incluses dans les calculs. Quoi qu’il en soit, l’organisme en charge de la certification des crédits carbone, Verra, a déclaré qu’il avait lancé un examen pour contrôler la qualité du projet. Dans l’attente des conclusions de cet examen, la société a suspendu l’émission de nouveaux crédits.