Les principaux dirigeants de Lundin Energy inculpés pour crimes de guerre et les agences de notation extrafinancière dénoncées pour leur « indulgence »

Certains observateurs estiment que la guerre civile qui a opposé le nord et le sud du Soudan entre 1983 et 2005 a causé la mort de près de deux millions de personnes, majoritairement des civils. Le conflit a été le théâtre de nombreux massacres et d’actions de nettoyage ethnique. La présence de gisements pétroliers dans le sud du pays a été un facteur majeur dans l’exacerbation des affrontements, des déplacements de populations et des violations de droits humains. La société pétrolière canadienne Talisman Energy avait d’ailleurs fait l’objet d’une importante pression internationale (campagnes d’opinion, class actions…) qui l’avait conduite à céder, en 2003, les intérêts qu’elle détenait dans ce pays ; son ancien président avait également avoué publiquement qu’il regrettait sa décision d’avoir investi au Soudan.

Le 23 octobre 2018, le gouvernement suédois a donné son accord à la justice du pays pour poursuivre le directeur général de la compagnie pétrolière Lundin Energy (Alex Schneiter) et son président, Ian Lundin, pour complicité de crimes de guerre au Soudan entre 1997 et 2003 (IE n° 290). Le 11 novembre 2021, le procureur général, Henrik Attorps, a inculpé les deux dirigeants pour complicité de crimes de guerre graves au Soudan entre 1999 et 2003. L’affaire est maintenant entre les mains du tribunal de district de Stockholm.

L’enquête, ouverte en juin 2010, prouve que les militaires et les milices alliées ont systématiquement attaqué des civils ou, à tout le moins, mené des attaques aveugles. Ils ont bombardé des populations avec des hélicoptères de combat, enlevé et pillé des civils, et brûlé des villages entiers et des récoltes afin de priver les populations de leurs ressources. De nombreux civils ont été tués, blessés et expulsés du bloc 5A, attribué en 1997 à Lundin Oil (désormais connue sous le nom de Lundin Energy). Le procureur estime que les accusés ont aidé et encouragé ces crimes, et ils seront poursuivis sur la base de la compétence universelle de la justice suédoise, prévue au chapitre 2, section 3 (6) du Code pénal suédois. L’enquête pénale a été ouverte à la suite de la publication d’un rapport que l’organisation pacifiste néerlandaise PAX a rédigé pour le compte de l’association ECOS (European Coalition on Oil in Sudan).

S’ils sont reconnus coupables, les suspects peuvent être condamnés à la réclusion à perpétuité. En outre, le procureur a annoncé qu’il requerrait une amende de trois millions de couronnes suédoises (deux cent quatre-vingt-dix mille euros) à Lundin Energy ainsi que la confiscation de tous les avantages économiques acquis par une entreprise criminelle pour un montant de 1,4 milliard de couronnes (cent trente-cinq millions d’euros). Le procès devrait débuter début 2022. Cette affaire met en évidence que les exactions commises par des factions armées peuvent être induites du simple fait des intérêts commerciaux dans certaines régions du monde.

Si les associations impliquées dans cette mise en examen se réjouissent de la décision prise, elles s’étonnent du décalage entre cette situation et les évaluations des agences de notation extrafinancière. Egbert Wesselink, conseiller auprès de l’association PAX, a ainsi fait remarquer que, cinq jours après la décision d’inculper les deux dirigeants de Lundin Energy pour complicité de crime de guerre, la compagnie avait intégré les indices de durabilité S&P Dow Jones (DJSI). Il ajoute que l’entreprise est très bien classée dans d’autres indices : MSCI (notation AA), Sustainalytics (avec un « risque moyen », elle appartient aux 5 % des sociétés du secteur les mieux notées), CDP (notation A), Moody’s VE (top 3 du secteur) et ISS ESG (Prime Status). Elle fait également partie de l’indice FTSE4Good.

Pour Egbert Wesselink, ces notations créent une fausse impression et induisent en erreur les investisseurs. Une inculpation pour des crimes de cette gravité devrait affecter les notes ESG, quelles que soient les bonnes performances dans les autres domaines de l’analyse ESG. Il estime que les agences de notation n’évaluent pas les impacts environnementaux et sociaux réels des sociétés, mais plutôt le risque pour les investisseurs de perdre de l’argent en raison de la manière dont les questions ESG sont gérées. Il cite, à ce titre, l’extrait d’une lettre adressée par MSCI à PAX en août 2017 : « […] Dans le cas de Lundin, bien que les allégations soient sérieuses et que nous ayons documenté notre évaluation en tant que telle, nous pensons qu’il est peu probable qu’elles aient un impact financier négatif à long terme sur l’entreprise. »