La mondialisation des comportements et la résonance favorisée par les médias sociaux donnent à certains événements un retentissement planétaire. Ces mouvements peuvent regrouper des acteurs aux profils très variés, dont des dirigeants d’entreprise. Ces derniers semblent, à dire vrai, de plus en plus enclins à s’exprimer sur les phénomènes de société (voir IE). Il convient cependant de succomber avec prudence à cette tentation dans la mesure où, parallèlement, les observateurs, en particulier ceux issus de la société civile, sont de plus en plus exigeants et de moins en moins disposés à accepter l’existence de décalages entre le discours et la réalité (IE n° 305). C’est ce qui se produit aujourd’hui autour des protestations mondiales sur la question du racisme. Plusieurs entreprises ont déclaré leur soutien au mouvement « Black Lives Matter ».
Fredrika Gullfot, la dirigeante et fondatrice de Simris, une société suédoise cotée spécialisée dans les compléments alimentaires d’oméga-3 à base d’algue, ne s’est pas contentée de communiquer sur le sujet. Elle a récemment déclaré qu’elle mettait un terme à ses achats d’encarts publicitaires sur Facebook et Instagram (propriété de Facebook). Elle estime en effet que « les développements actuels ont moralement rendu impossible [pour son entreprise] de continuer à nourrir une entité qui, par ailleurs, offre avec complaisance ses services en tant que principale plate-forme de propagande haineuse, de promotion de la violence et de désinformation […] et qui s’est également révélée un catalyseur majeur du mouvement raciste. En refusant activement d’intervenir, Facebook a clairement fait connaître sa position ». Sur ce dernier aspect, Fredrika Gullfot fait référence au refus de Facebook de diffuser un avertissement après le message du président américain sur les affrontements de Minneapolis déclenchés par la mort de George Floyd (« When the looting starts, the shooting starts », « Quand les pillages commencent, les tirs commencent »). A l’inverse, Twitter avait « masqué » le message et prévenu les internautes que celui-ci enfreignait ses règles contre la glorification de la violence.
Pour une entreprise, intervenir sur le terrain du politique est finalement la suite logique d’une tendance qui vise à s’interroger sur son impact global, son utilité sociale, sa raison d’être et sa place dans la société. Ce n’est cependant pas sans danger, car il faut être irréprochable. A la suite du message de soutien formulé le 1er juin par L’Oréal vis-à-vis de la communauté noire, le mannequin activiste britannique Munroe Bergdorf a exprimé sa colère sur les réseaux sociaux et dénoncé l’hypocrisie du groupe. Ses propos faisaient référence à la résiliation de son contrat de mannequinat par l’entreprise en 2017. Cette dernière avait en effet estimé que l’article publié par Munroe Bergdorf qui dénonçait le racisme et la violence raciale des Blancs était contraire à ses valeurs. La franchise de Munroe Bergdorf n’a toutefois pas été vaine, puisque peu de temps après cette nouvelle intervention sur les réseaux sociaux, une conversation ouverte et constructive s’est engagée avec Delphine Viguier, présidente de la marque L’Oréal Paris. Cette dernière a déclaré qu’elle regrettait « le manque de dialogue et de soutien que la société [avait] manifesté à Munroe au moment de la résiliation [du contrat]. Nous aurions également dû faire davantage pour créer une conversation pour le changement, comme nous le faisons actuellement ». Après cet entretien, Munroe Bergdorf a également accepté la proposition qui lui a été faite de rejoindre le comité consultatif de L’Oréal au Royaume-Uni sur la diversité et l’inclusion.