Premier procès climatique en Italie : Eni connaissait depuis des décennies les effets de ses activités sur le changement climatique

Le 9 mai 2023, Greenpeace Italia, l’association ReCommon et 12 citoyens italiens ont notifié au géant pétrogazier Eni SpA qu’ils l’assignaient à comparaître devant le tribunal ordinaire de Rome dans le cadre d’une procédure civile. À travers cette action, ils réclament à la justice de constater les dommages, passés et futurs, causés par Eni aux personnes sur le plan des droits humains ainsi qu’aux biens à la suite des changements climatiques auxquels l’entreprise a fortement contribué. Ils souhaitent également que le juge mette fin au comportement néfaste d’Eni par voie d’injonction et qu’il ordonne à la société d’adopter une stratégie industrielle qui réduise de 45 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 afin d’être conforme à l’accord de Paris. Ils demandent aussi au juge de prévoir une astreinte par jour de retard au cas où celui-ci accéderait à leur réclamation. De plus, les requérants poursuivent le ministère de l’Économie et des Finances italien et la banque publique d’investissement Cassa Depositi e Prestiti.

Les accusations reposent en partie sur une étude commandée par Eni à son centre de recherche Isvet entre 1969 et 1970, comme le révèle l’organisme à but non lucratif DeSmog. Ce compte rendu indiquait clairement que si elle n’était pas contrôlée, l’utilisation croissante des combustibles fossiles pourrait conduire à une crise climatique en seulement quelques décennies. Greenpeace Italie et ReCommon font également état d’un rapport de 1978, produit par la filiale d’Eni Tecneco, qui faisait une projection de l’augmentation des concentrations de CO2 dans l’atmosphère d’ici la fin du siècle. Ces prévisions se sont globalement révélées exactes. Les recherches de DeSmog ont aussi mis en lumière que le magazine d’entreprise d’Eni, Ecos, a fait référence à de nombreuses reprises au changement climatique à la fin des années 1980 et 1990 tout en menant des campagnes publicitaires qui faisaient la promotion du gaz naturel en tant que carburant « propre ».

Cette affaire s’ajoute à d’autres cas qui montrent que l’industrie pétrogazière connaissait de longue date les effets catastrophiques que leurs produits auraient sur le monde. Mais les compagnies n’ont pas averti le public, ont caché leurs connaissances, ont nié le problème et ont entravé les efforts engagés pour le résoudre. Sur ce terrain, les actions juridiques continuent. En 2021, le tribunal de district de La Haye a ordonné à Royal Dutch Shell de réduire ses émissions nettes de CO2 de 45 % en 2030 par rapport aux niveaux de 2019 (en y intégrant le scope 3). La société a fait appel. Le 24 avril dernier, la Cour suprême des États-Unis a rejeté la requête des grandes compagnies pétrolières qui lui demandaient de réviser les décisions des tribunaux inférieurs dans les poursuites en responsabilité climatique. Celles-ci visaient à tenir les producteurs de combustibles fossiles responsables des dommages climatiques et les accusaient de campagnes de désinformation. Ce rejet implique que les actions pourront se poursuivre devant les tribunaux des différents États.