Le développement d’Internet et des réseaux sociaux a été un formidable accélérateur de la liberté d’expression. De (presque) toutes les expressions, y compris les plus discutables. Cette possibilité accordée aux utilisateurs est désormais contestée devant les tribunaux, notamment lorsqu’elle a favorisé la diffusion de messages de haine.
Les 21 et 22 février 2023, la Cour suprême des États-Unis a entendu les plaidoiries des familles de deux victimes d’attentats terroristes. La première affaire implique les proches de Nohemi Gonzalez, une étudiante américaine assassinée sur la terrasse du restaurant Le Carillon lors des attentats du 13 novembre 2015 à Paris. La seconde a été lancée par la famille de Nawras Alassaf, un citoyen jordanien tué pendant l’attaque de Daesh dans la boîte de nuit Reina Nightclub à Istanbul le soir du Nouvel An 2017.
Les héritiers et les proches de Nohemi Gonzalez poursuivent Google pour avoir violé la loi antiterroriste étatsunienne de 1990 via sa filiale YouTube. Cette loi autorise les ressortissants américains ou leurs ayants droit à ester en justice pour blessures « en raison d’un acte de terrorisme international ». Selon cette législation, une action en responsabilité civile peut être engagée à l’égard de « toute personne qui aide et encourage, en fournissant sciemment une assistance substantielle » à quiconque commet « un acte de terrorisme international ». Dans leur plaidoirie du 21 février, les plaignants ont affirmé que Google avait autorisé l’État islamique à publier des vidéos incitant à la violence et à recruter des membres. Ils ont également déclaré que YouTube recommandait des vidéos de Daesh aux utilisateurs à travers un algorithme identifiant ceux qui étaient susceptibles d’être intéressés par ces vidéos.
Le tribunal de première instance a rejeté leur action en s’appuyant sur l’article 230 du Communications Decency Act de 1996. La Cour d’appel des États-Unis pour le neuvième circuit a confirmé le rejet. Cet article (§230( c )(1)) dispose notamment qu’« aucun fournisseur ou utilisateur d’un service informatique interactif ne doit être considéré comme l’éditeur ou le locuteur d’informations fournies par un autre fournisseur de contenu d’informations ». Devant la Cour suprême, les plaignants ont demandé aux juges si la protection de l’article 230 s’appliquait à YouTube qui recommande des contenus à ses utilisateurs à partir d’algorithmes. Ce sera la première fois que la Cour suprême examinera l’article 230, aujourd’hui très critiqué par certains membres du Congrès.
Dans la seconde affaire, les familles ont également poursuivi Google, Twitter et Facebook en vertu de la loi antiterroriste. Elles ont indiqué que ces plates-formes avaient hébergé et recommandé le contenu de Daesh, en particulier à propos de son recrutement, de ses collectes de fonds et de ses communications. Elles « ont [ainsi] sciemment fourni une assistance substantielle » à un acte de terrorisme international, et l’ont « aidé et encouragé ». Les demandes ont été rejetées en première instance sans que l’article 230 soit invoqué. Ce rejet a été confirmé par le neuvième circuit. La Cour d’appel a cependant déclaré que la famille de Nawras Alassaf avait formulé de manière plausible une allégation d’aide et d’encouragement qui devrait être réexaminée par le tribunal de première instance. Les plates-formes ont réclamé à la Cour suprême de revoir cette décision.
L’enjeu lié à ces points de droit est considérable, car il cible l’immunité dont jouissent aujourd’hui les réseaux sociaux quant aux contenus qu’ils acceptent sur leurs plates-formes dès lors qu’ils ne sont pas illégaux sur le plan fédéral. Du reste, de nombreuses tierces parties ont formé des mémoires qu’elles ont déposés devant la Haute Cour. Un jugement devrait être rendu en juin. En Europe, le Digital Services Act (DSA) devrait entrer en application d’ici quelques mois. Il a pour objectif d’encadrer les activités des géants du Net et préconise notamment d’imposer que des agences indépendantes puissent auditer les algorithmes des grandes plates-formes.