Entre juin 2015 et janvier 2017, plusieurs dizaines de milliers de fermiers et pêcheurs nigérians des communautés Ogale et Bille ont déposé un recours auprès de tribunaux britanniques pour des déversements d’hydrocarbures attribués à la SPDCN, une filiale nigériane de Royal Dutch Shell. Le 26 janvier 2017, la Haute Cour de justice de Londres a rendu son verdict. Elle a estimé que Royal Dutch Shell ne pouvait être tenue pour responsable des agissements de sa filiale. En conséquence, elle ne pouvait faire l’objet de poursuites devant les tribunaux britanniques. Les plaignants ont fait appel. La Cour d’appel a confirmé le premier jugement. Mais, le 12 février 2021, la Cour suprême du Royaume-Uni a décidé à l’unanimité que la Cour d’appel avait commis une erreur de droit et qu’il y avait bien une vraie question à juger.
Le cabinet d’avocats britannique Leigh Day, qui accompagne les plaignants, a donc annoncé le 2 février 2023 qu’il avait porté plainte auprès de la Cour suprême au nom de 11 317 personnes et de 17 institutions membres de la communauté Ogale. Celles-ci souhaitent être indemnisées par le géant pétrolier pour la perte de leurs moyens de subsistance et les dommages subis. Leur demande s’ajoute aux 2 335 réclamations individuelles de la communauté Bille qui ont été déposées devant la Haute Cour en 2015. En plus de ces doléances, le cabinet précise qu’il existe une action engagée par chacune des communautés qui requièrent d’être indemnisées pour les dommages causés aux biens collectifs.
Shell organise sa défense autour de plusieurs arguments. La compagnie estime que les communautés n’ont aucun statut juridique permettant de lui imposer un nettoyage. Elle indique aussi que les déversements d’hydrocarbures ont eu lieu plus de cinq ans avant le dépôt de plainte. L’entreprise ajoute qu’elle ne peut être tenue pour responsable des nombreux piratages opérés sur les oléoducs (bunkering) et que l’on ne peut lui reprocher de ne pas avoir pris de mesures pour protéger ses infrastructures. Enfin, elle persiste à penser que la société mère ne peut être accusée des pollutions résultant des activités de sa filiale nigériane SPDC.
Une première audience devrait avoir lieu au printemps, et le procès lui-même devrait se tenir en 2024. La décision est évidemment très attendue par les communautés concernées par cette affaire, mais aussi par toutes celles impliquées dans des situations similaires. Le cabinet Leigh Day est d’ailleurs très actif dans ce mode d’action juridique. Le 7 janvier 2015, un accord a ainsi été conclu entre Shell et 15 600 pêcheurs et fermiers nigérians de la communauté Bodo pour des fuites d’hydrocarbures provenant d’un oléoduc au cours des années 2008-2009. De cette manière, le groupe pétrolier a pu éviter le procès et le risque d’être reconnu responsable. Leigh Day est également parvenu à plaider, en Angleterre, la cause de villageois zambiens dont les terres et les ressources en eau avaient été contaminées par Konkola Copper Mines, une filiale zambienne de la firme britannique Vedanta. Là encore, la société défenderesse a préféré arriver à un accord avec les villageois (en janvier 2021) plutôt que d’aller au bout d’une action juridique risquée.
En 2021, après presque 70 ans d’opérations très rentables, Shell a annoncé son intention de quitter le delta du Niger et de vendre ses champs pétrolifères et ses actifs onshore. Une manière de se débarrasser d’un passif encombrant. Le processus est cependant suspendu dans l’attente du jugement définitif de la Cour suprême du Nigeria à propos d’un autre déversement de pétrole qui a eu lieu en 2019. Le 20 novembre 2020, la Haute Cour fédérale d’Owerri a en effet condamné Shell à verser 800 milliards de nairas (1,63 milliard d’euros) aux membres de communautés de l’État de Rivers. La compagnie a fait appel, mais la Cour d’appel a confirmé le jugement.