De nombreux acteurs économiques indiquent avoir repoussé leurs objectifs en matière de neutralité carbone, soit parce qu’ils considèrent que le contexte politico-économique ne permet plus de les tenir, soit parce qu’ils prennent conscience qu’ils étaient de toutes les manières inatteignables, soit pour ces deux raisons. Quoi qu’il en soit, repousser les objectifs ne signifie pas les annuler, et de nombreuses sociétés pourraient accélérer leur course aux crédits carbone pour les atteindre ou s’en approcher. Si la compagnie pétrolière Shell est restée le plus gros acheteur de crédits carbone en 2024, d’autres sociétés, comme Microsoft, renforcent nettement leur présence sur le marché pour compenser l’augmentation de leurs émissions de GES due à l’accélération de la construction des centres de données.
Il existe désormais de nombreux types de projets susceptibles de générer des crédits carbone. Ceux basés sur la nature restent très controversés à cause de méthodologies qui ne sont pas convaincantes et des effets négatifs qu’ils sont susceptibles d’avoir sur les populations locales, mais aussi sur l’environnement naturel. De par le monde, de nombreuses organisations s’opposent à ces projets.
Ainsi, le 30 mai 2025, un tribunal fédéral brésilien (São Luís, État de Maranhão) a ordonné la suspension d’un projet de compensation carbone sur le territoire du peuple ka’apor en raison de l’absence de consentement préalable, libre et éclairé (CPLE).
La société étatsunienne Wildlife Works Carbon LLC (WWC) opère au Brésil par l’intermédiaire de son entité locale Wildlife Works Brasil Projetos Para Meio Ambiente LTDA (WWB). Elle cherche à développer un projet de compensation carbone sur le territoire ka’apor de l’Alto Turiaçu. Le conseil de Tuxa Ta Pame du peuple ka’apor s’est opposé à ce projet dès le départ. En janvier 2024, il a officiellement informé l’entreprise qu’il n’acceptait pas la présence de personnel étranger associé au projet de compensation carbone et a exigé l’arrêt immédiat de toute activité sur son territoire. Il a ensuite déposé un recours devant le tribunal de São Luís accusant WWB et la FUNAI, l’agence fédérale brésilienne chargée de la protection des droits des autochtones, de ne pas avoir consulté convenablement l’ensemble du peuple ka’apor, comme l’exige la loi.
Le tribunal a estimé que la démarche de l’entreprise violait à la fois la Constitution brésilienne et la Convention 169 de l’OIT, qui garantit aux peuples autochtones le droit de donner ou de refuser leur consentement à des projets affectant leurs terres. La décision a souligné les graves impacts sociaux, culturels et environnementaux que de tels projets pouvaient avoir. Bien que le tribunal n’ait pas déclaré le projet totalement illégal, il a ordonné la suspension immédiate de toutes les activités connexes, sous peine d’amende journalière. Cette ordonnance restera en vigueur jusqu’à ce que la légitimité du processus de consultation et la représentation des voix autochtones soient clarifiées. C’est la première fois qu’un projet de compensation carbone est arrêté avant même d’avoir démarré.