Les agences de notation extra-financière Morningstar Sustainalytics et MSCI ne prennent plus en compte les violations des droits humains dans les territoires palestiniens

En matière de responsabilité d’entreprise, le fait de savoir à qui profitent les produits et services vendus par une entreprise est crucial. Il en est de même pour l’utilisation qui en est faite, y compris lorsque les produits et services ont été détournés de leur usage originel. Il faut y porter encore davantage d’attention lorsque les transactions sont réalisées dans une zone de conflit ou dans un environnement répressif. La politique israélienne relative à Gaza et aux territoires palestiniens occupés (TPO), selon la terminologie onusienne, entre dans ce champ et déclenche de nombreuses polémiques.

Certains investisseurs responsables intègrent ce critère dans l’évaluation des émetteurs composant leurs portefeuilles. En d’autres termes, ils examinent si une entreprise participe ou non au renforcement de la présence des colonies de peuplement israéliennes dans les TPO, ou si elle contribue à l’action militaire menée à Gaza. Pour ce faire, ils font appel à des agences spécialisées dans la collecte et l’analyse de très nombreuses données sociales, environnementales et de gouvernance (ESG) sur les entreprises.

Les grandes agences de notation extra-financière étatsuniennes Morningstar Sustainalytics (MS) et MSCI fournissent en données mesurant l’impact des activités commerciales sur les droits humains une grande partie des investisseurs socialement responsables dans le monde. Mais le 7 mai 2025, le média d’investigation Follow the Money (FTM) a révélé qu’elles avaient décidé de ne plus prendre en compte les violations des droits humains dans les territoires occupés, et ce en raison des exigences de groupes de pression. Morningstar Sustainalytics a publiquement reconnu ce changement de politique et qu’elle excluait le conflit israélo-palestinien de son analyse ESG. De son côté, MSCI a été victime d’une fuite de documents confidentiels, ce dont a bénéficié FTM.

Depuis plusieurs années, Morningstar faisait l’objet d’une forte pression de la part de certains États fédérés américains et de groupes de pression opposés au mouvement de boycott, de désinvestissement et de sanctions (BDS) contre Israël. En 2022, 18 États avaient d’ailleurs considéré que l’agence affichait un parti pris anti-israélien. Quant aux mouvements de lutte contre l’antisémitisme, ils estimaient que le modèle d’évaluation de Morningstar Sustainalytics s’appuyait sur des sources biaisées et des hypothèses fondamentalement anti-israéliennes. Un examen indépendant n’a, toutefois, relevé aucun préjugé systémique contre Israël de la part de Sustainalytics.

FTM prend l’exemple de la société d’engins de chantier Caterpillar. Depuis longtemps, celle-ci est très critiquée pour fournir l’armée israélienne en bulldozers utilisés pour détruire des habitations et des oliveraies palestiniennes à Gaza, ou pour consolider la présence des colonies israéliennes en Cisjordanie. En 2023, MSCI avait, d’ailleurs, attribué la note de 3 sur 10 à l’entreprise en matière de respect des droits humains. Mais en août 2024, le rapport MSCI sur Caterpillar n’a plus mentionné le conflit, bien que celui-ci se soit fortement envenimé à la suite des attaques du Hamas du 7 octobre 2023. L’entreprise obtient désormais la note de 10 sur 10 de la part de MSCI, alors que, selon plusieurs sources, ses machines prennent toujours part à des opérations violant les droits humains.

Morningstar Sustainalytics évoque la complexité des « territoires contestés ». Dans les zones de conflit, l’évaluation du respect des droits humains est « soumise à des facteurs géopolitiques complexes, à des points de vue divergents et à des rapports médiatiques partisans contradictoires ». Cela étant, les contradictions auxquelles fait référence MS sont, par nature, inhérentes à toute forme de controverse et requièrent une analyse précise. D’autres situations toutes aussi complexes, comme le travail forcé des Ouïgours en Chine, sont pourtant examinées par les agences de notation.

Tara Van Ho est maîtresse de conférences en droit à l’université d’Essex, et ses recherches portent sur les entreprises et les droits de l’homme. Elle souligne que le fait de savoir si des violations des droits humains ont eu lieu ou non est de nature juridique. Par ailleurs, les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales exigent une diligence raisonnable accrue dans les zones de conflit. Ne pas les prendre en compte constitue donc une violation de ces principes. Cette situation de dépendance à l’égard des fournisseurs ESG basés aux États-Unis dans le contexte actuel de guerre contre les « wokes » commence à inquiéter sérieusement les investisseurs européens.