Aux États-Unis, l’engagement actionnarial entre dans une phase conflictuelle

Lors des assemblées générales des sociétés aux États-Unis, les proxy fights (batailles de mandats) sont une vieille tradition. Ces démarches sont engagées par des actionnaires. Elles ont pour but de recueillir le vote des autres détenteurs de parts sur des projets de résolution qu’ils ont déposés à l’ordre du jour de l’assemblée. Le plus souvent, ces projets sont précédés d’une période de discussion entre la société et les actionnaires qui en sont à l’origine. Ces négociations peuvent aboutir à son retrait volontaire. De son côté, la Security and Exchange Commission (SEC) vérifie que les conditions nécessaires à son inscription à l’ordre du jour sont réunies.

Ces démarches visent fréquemment à améliorer l’information des porteurs de parts sur des points précis de la politique et de la stratégie de l’entreprise, y compris sur des questions sociales et environnementales. Mais leur succès a déplu à l’administration Trump qui, en 2017, a tenté de durcir les conditions d’inscription de projets de résolution à l’ordre du jour des sociétés. Son offensive a échoué. La SEC a même limité, en 2022, les capacités des entreprises à exclure les projets de résolution d’actionnaires aux assemblées. Mais les relations se sont tendues entre certaines entreprises et leurs actionnaires.

C’est le cas chez ExxonMobil. Ainsi, au lieu de suivre la procédure de la SEC, la compagnie avait préféré déposer, le 21 janvier 2024, un recours auprès d’un tribunal texan pour empêcher l’association néerlandaise Follow This et la société d’investissement Arjuna Capital de présenter un projet de « résolution climatique » au vote de ses actionnaires. Exxon a fait valoir que l’initiative de Follow This et d’Arjuna enfreignait les règles de la SEC conçues pour empêcher les actionnaires d’intervenir dans le management des entreprises par le biais de propositions. Les deux organisations ont choisi de retirer leur projet plutôt que d’être confrontées à un procès ruineux et de prendre le risque de créer un précédent préjudiciable au droit des actionnaires.

Pour autant, la compagnie a maintenu ses plaintes. C’est le tribunal qui a tout d’abord rejeté celle engagée contre Follow This le 22 mai 2024, car le juge a estimé qu’il n’avait pas la compétence pour statuer sur la responsabilité d’une association néerlandaise. Puis, le 17 juin, la cour a débouté Exxon dans son action contre Arjuna après que cette dernière a accepté de « manière inconditionnelle et irrévocable » de ne pas soumettre, à l’avenir, de proposition concernant les émissions de gaz à effet de serre du groupe.

Bien que les concessions accordées par la société de gestion à la firme pétrolière soient de taille, les actionnaires et les investisseurs engagés se sont réjouis de ces décisions. Elles retirent en effet du crédit à une action qui consistait, pour l’entreprise, à dissuader de déposer des projets de résolutions environnementales et sociales en engageant une « procédure bâillon », plutôt que de suivre le parcours classique prévu par la SEC. Cela étant, l’épisode pourrait jeter un froid sur ce type de démarche actionnariale.

L’agacement des entreprises vis-à-vis de l’activisme actionnarial semble gagner la France, si l’on en croit le préambule aux réponses que TotalEnergies a apportées aux questions écrites posées par ses actionnaires à l’occasion de son assemblée générale. Le groupe estime ainsi que celles-ci pourraient constituer « un abus de droit, que la jurisprudence applicable sanctionne ».