Peu de temps après la nomination du Qatar pour organiser la Coupe du monde de football en 2022, la société civile et les syndicats se sont mis en ordre de marche pour alerter l’opinion sur les importantes carences qui entouraient les droits des travailleurs migrants dans ce pays et pour exiger des autorités qataries qu’elles y remédient. Sous la pression, le pays a engagé des réformes.
En 2017, le pays a signé un accord avec l’Organisation internationale du Travail (OIT) pour apporter des changements dans la législation du travail. En 2019, deux lois ont été adoptées. L’une visait à établir un salaire minimum. L’autre réformait le système de parrainage de la kafala en autorisant les travailleurs à changer librement d’employeur. La législation en matière de santé et de sécurité a aussi été améliorée.
Mais très rapidement, les acteurs de la société civile se sont inquiétés de la lenteur de la mise en œuvre de ces mesures et de l’insuffisance des améliorations observées sur le terrain. Depuis la fin du tournoi, les progrès se sont encore ralentis. Le 16 novembre, Amnesty International a rendu publique une nouvelle étude (A Legacy in Jeopardy) dans laquelle elle dresse un sombre tableau de la réalité.
En principe, les travailleurs peuvent désormais changer librement d’emploi et ne sont plus légalement obligés d’obtenir un « certificat de non-objection » (CNP) de leur employeur. Mais dans les faits, une telle autorisation facilite grandement les transferts. Du reste, les données gouvernementales montrent qu’au cours des huit premiers mois de l’année, les autorités ont rejeté un tiers des demandes de mutation. Par ailleurs, les nouveaux employeurs exigent encore souvent des CNP. De plus, les patrons ont toujours la main sur la présence des travailleurs dans le pays. Certains, par exemple, annulent les permis de séjour ou font de fausses déclarations en signalant que les employés se sont « enfuis » de leur emploi. Cela peut conduire à l’arrestation de ces derniers et à leur expulsion pure et simple.
Pour les travailleurs migrants, les retenues abusives sur salaire restent la forme d’exploitation la plus fréquente, d’autant que le dispositif visant à détecter et punir ces infractions est largement défaillant. De manière générale, l’accès au système judiciaire est long et difficile pour les migrants qui doivent rester dans le pays pour défendre leur cause. De fait, ils n’ont souvent pas d’autre choix que d’accepter des indemnités bien inférieures à celles auxquelles ils ont droit. En juin 2023, Amnesty International a publié une autre enquête dans laquelle l’ONG montre que des centaines d’agents de sécurité déployés sur les sites lors de la Coupe du monde ont été exploités. Près d’un an plus tard, ces agents n’ont toujours pas pu exercer le moindre recours.