L’engagement actionnarial en assemblée générale est-il en perte de vitesse, ou assiste-t-on à une refonte des stratégies ?

Cette année, l’association néerlandaise Follow This a poursuivi son offensive d’engagement actionnarial à l’encontre des sociétés pétrolières européennes et étatsuniennes (Shell, BP, TotalEnergies, ExxonMobil, Chevron). La coalition réunie par l’organisation était composée de 17 investisseurs représentant approximativement 1 100 milliards d’euros d’actifs sous gestion. Elle a déposé le même projet de résolution à l’ordre du jour de chacune des 5 compagnies. Le texte visait à inclure les rejets de GES de scope 3 des entreprises dans leurs objectifs de conformité avec l’accord de Paris. Cette campagne était la deuxième de suite menée par Follow This. Ses résultats sont inégaux. BP et Shell ont recueilli approximativement le même pourcentage de voix qu’en 2022 (respectivement 17 % et 20 %). Du côté des firmes américaines, les scores ont chuté en 2023 : 11 % chez ExxonMobil (contre 28 % en 2022) et 10 % chez Chevron (33 % en 2022). TotalEnergies sort du lot en collectant 30 % des suffrages.

Reste à savoir comment les résultats de cette campagne influenceront les politiques des compagnies pétrogazières. Shell apporte un début de réponse. En place depuis le 1er janvier 2023, le directeur général du groupe a déclaré le 14 juin que l’entreprise abandonnait son plan de réduction annuelle de production de pétrole qu’elle avait prévu en 2021 pour le reste de la décennie. En d’autres termes, la production ne baissera pas, mais demeurera stable jusqu’en 2030. Shell investira ainsi 40 milliards de dollars dans la production de pétrole et de gaz entre 2023 et 2035, contre 10 à 15 milliards de dollars dans des activités « bas carbone ». Cette annonce a été faite après une assemblée générale d’actionnaires pour le moins tendue le 23 mai dernier.

Matt Orsagh fait partie de l’équipe qui a lancé l’agence d’évaluation ESG GovernanceMetrics International (désormais intégrée à MSCI). Le 21 juin 2023, il a rédigé dans la revue GreenFin une analyse de l’évolution des campagnes de résolutions outre-Atlantique. Fin mai, 626 projets liés à des problématiques ESG ont été déposés par les actionnaires, un niveau à peu près identique à 2022. Les résolutions portant sur le changement climatique ont représenté 23 % de ce nombre et ont augmenté de 12 % par rapport à 2022. Les projets anti-ESG, quant à eux, ont très fortement progressé et atteint 13 % de l’ensemble. Les propositions pro-ESG ont recueilli 21,5 % des suffrages, contre 29,3 % en 2022.

Matt Orsagh avance plusieurs explications à cette baisse du soutien envers les résolutions pro-ESG. Tout d’abord, la performance des fonds liés à la durabilité a récemment déçu après des années de surperformance. Ensuite, la guerre en Ukraine a vu le prix des actifs pétroliers et gaziers augmenter après une longue période de sous-performance. En troisième lieu, les accusations d’écoblanchiment ont ralenti la tendance favorable à la prise en compte de critères ESG. Enfin, le mouvement anti-ESG a incontestablement refroidi le soutien à certaines propositions ESG. Cela ne traduit pas pour autant un renversement de tendance. Les préoccupations se déplacent. Ainsi, il y a deux ans, on ne comptait aucune résolution d’actionnaires sur le financement bancaire des combustibles fossiles. En 2022, on en relevait 6 dans les grandes banques étatsuniennes, et cette année, il y en a eu 13.