En 2020, l’association suisse Public Eye et la cellule « investigation » de Greenpeace UK ont calculé qu’en 2018, plus de 81 000 tonnes de pesticides dont l’utilisation est interdite sur le territoire de l’Union européenne y ont tout de même été produits et ont été exportés vers 85 pays.
Le 11 juin 2023, Public Eye a réalisé une nouvelle étude qui montre que 35 % des denrées alimentaires en provenance de pays hors de l’Union européenne et importées en Suisse contiennent des résidus de pesticides prohibés dans ce pays. Les recherches s’appuient sur l’analyse des données transmises à l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV). Ces substances sont souvent commercialisées dans ces pays par de grandes firmes de l’agrochimie européennes et/ou exportées depuis l’Europe. En d’autres termes, des produits dangereux pour la santé et interdits sur le sol européen sont exportés vers les pays où les réglementations sont moins sévères et reviennent dans les assiettes des Européens, à tout le moins des citoyens suisses, sous forme de résidus dans les produits alimentaires. Cet exemple montre que, pour avoir un véritable impact, les mesures sanitaires, environnementales ou sociales ne doivent pas se limiter à des régions géographiques particulières.
Toujours dans le domaine de l’agrochimie, The Guardian a révélé le 2 juin 2023 que le groupe suisse Syngenta aurait essayé d’influencer la recherche scientifique quant aux liens existant entre son herbicide, le paraquat, et la maladie de Parkinson. Les propos du journal s’appuient sur des documents internes de l’entreprise. Syngenta a mis en place une équipe consacrée à la gestion de la communication liée au paraquat (SWAT team) pour réagir très rapidement lors de la parution de nouveaux rapports scientifiques indépendants qui pourraient avoir des répercussions sur les ventes du produit. L’un des principaux objectifs de cette équipe était de « créer un consensus scientifique international contre l’hypothèse selon laquelle le paraquat [était] un facteur de risque de la maladie de Parkinson ».
La société a également sollicité les services d’un avocat extérieur pour travailler avec ses équipes scientifiques et suggérer des modifications aux procès-verbaux des réunions internes concernant le paraquat. Cet avocat prodiguait des conseils sur la façon de communiquer et incitait les scientifiques à modifier le « langage problématique » et à supprimer les conclusions scientifiques jugées « inutiles » pour défendre le paraquat.
L’entreprise est aussi intervenue pour essayer de contrôler la littérature scientifique et les décisions réglementaires. Syngenta a par exemple œuvré en secret pour empêcher un scientifique réputé étudiant les causes de la maladie de Parkinson de siéger à un comité consultatif de l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA). De plus, le groupe a conclu des accords de consultation avec des chercheurs comme l’éminent pathologiste britannique Sir Colin Berry. Celui-ci a corédigé un article paru en 2010 qui a statué que le lien entre le paraquat et la maladie de Parkinson était faible, et que les preuves liant le produit chimique à la maladie étaient limitées. Louise Marks, une scientifique travaillant dans le groupe, a réalisé une série d’études sur des souris entre 2003 et 2007. Celles-ci ont confirmé des recherches effectuées antérieurement par des chercheurs externes et mettant en évidence des symptômes cérébraux qui découlaient de l’exposition au paraquat. Syngenta n’a pas publié ces recherches ni partagé les résultats avec l’EPA. Elle a, au contraire, affirmé que son produit n’avait aucun effet sur le cerveau et qu’une « relation causale entre le paraquat et la maladie de Parkinson [n’était] pas étayée ». Ce n’est qu’en 2019 qu’elle a informé l’EPA des recherches de Louise Marks, sous la pression d’un avocat qui poursuivait la firme au nom de personnes atteintes de la maladie de Parkinson.
D’ici à la fin de l’année, le géant suisse devrait faire face à un premier recours collectif engagé par des citoyens étatsuniens (agriculteurs et autres) qui allèguent que le paraquat est à l’origine de la maladie de Parkinson. Aujourd’hui, plus de 2 500 dossiers ont été déposés devant des tribunaux fédéraux ou d’États américains.