Dans la dernière édition de sa publication Emploi et questions sociales dans le monde parue le 13 janvier 2023, l’Organisation internationale du Travail (OIT) estime que 473 millions de personnes étaient en recherche d’emploi dans le monde en 2022. Cela représente un déficit d’emplois de 12,3 %. Elle évalue par ailleurs que cette année-là, 214 millions de travailleurs (6,4 % des actifs) vivaient dans l’extrême pauvreté. L’OIT considère que ce seuil est atteint lorsque le revenu est inférieur à l’équivalent de 1,90 dollar par jour. Vivre dignement de son travail est au cœur de la responsabilité d’entreprise. Ce principe n’est pas nouveau, mais il perdure.
La problématique du salaire décent est associée à d’autres questions fondamentales liées au travail. Ainsi, c’est très souvent à cause de la rémunération dérisoire des adultes que leurs enfants se retrouvent dans l’obligation de travailler. Aujourd’hui, l’OIT estime que 160 millions d’enfants sont contraints de travailler dans le monde. L’allongement des horaires de travail en vue de réaliser des quotas inaccessibles participe aussi à l’extrême pression exercée sur les rémunérations. Enfin, la plupart du temps, c’est parce que la liberté d’organisation et de négociation collective est peu respectée ou inexistante sur le terrain que les salariés ne parviennent pas à faire reconnaître leurs droits fondamentaux.
Plusieurs organisations dans le monde agissent, depuis plusieurs décennies pour certaines, pour promouvoir un salaire décent (living wage) pour tous. Mais il faut calculer son montant. Celui-ci varie en fonction des pays – voire des régions –, de la composition de la famille, etc. Le réseau Clean Clothes Campaign (CCC) est l’un des mouvements les plus crédibles sur le sujet. Apparue en 1989 aux Pays-Bas (Schone Kleren Campagne), la CCC explique qu’un salaire décent doit pourvoir à l’alimentation, au logement, à la santé, l’éducation, l’habillement, au transport et à une épargne de précaution d’une structure familiale.
La CCC rappelle que le salaire décent ne s’apparente en aucun cas au salaire minimum (lorsqu’il existe). Pourtant, cette « confusion » s’observe encore largement dans les plus grandes entreprises françaises, comme le montre la dernière campagne de questions écrites adressées par le Forum pour l’investissement responsable (FIR) aux sociétés du CAC40 à l’occasion de leurs assemblées générales.
Dans le secteur du textile et de l’habillement, le Bangladesh est emblématique. En principe tous les cinq ans, le gouvernement forme un conseil du salaire minimum (Minimum Wage Board). Celui-ci a pour mission d’établir une nouvelle structure salariale pour les différentes branches. Cette instance constitue le cadre pour des négociations entre les parties concernées. Elle formule ensuite une proposition, puis la transmet aux ministères en charge de la question qui la valident. Le salaire minimal actuel dans le secteur de l’habillement (8 000 takas, soit environ 71 euros) a été instauré en septembre 2018. La demande des organisations syndicales s’élevait à 16 000 takas. Le CCC estime que ce salaire minimum représente près de 20 % du revenu de subsistance.
Le 5 février 2023, les syndicats bangladais affiliés à la fédération internationale IndustriALL ont dévoilé leurs nouvelles revendications. Pour faire face à l’inflation, ils réclament une réévaluation du salaire minimum à 23 000 takas (205 euros) pour un débutant et appellent le gouvernement à constituer d’urgence un conseil du salaire minimum. Ils demandent aussi que ce salaire soit augmenté annuellement de 10 % (contre 5 % actuellement) et que des cartes de rationnement leur soient accordées. En quatre ans, les prix ont progressé de près de 30 %.