Les produits pharmaceutiques et autres composés biologiquement actifs utilisés par les êtres humains nuisent à la faune, et les antibiotiques déversés dans l’environnement augmentent le risque de résistance aux médicaments. Pour l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), la résistance aux antimicrobiens représente la plus grande menace pour l’humanité. C’est dans ce contexte que des scientifiques ont mesuré la concentration de soixante et un ingrédients pharmaceutiques actifs (IPA) sur mille cinquante-deux sites localisés le long de deux cent cinquante-huit rivières, et ce, dans cent quatre pays couvrant tous les continents. Seules deux régions n’étaient pas polluées : l’Islande et un village vénézuélien où les indigènes n’utilisent pas de médicaments modernes. L’étude qui présente ces conclusions a été publiée dans la revue américaine Proceedings of the National Academy of Sciences le 22 février 2022. À ce jour, elle est considérée comme la plus complète sur le sujet. Les résultats portent sur la pollution de rivières qui ont une incidence sur quatre cent soixante-dix millions d’individus.
Les IPA se retrouvent dans les cours d’eau après avoir été absorbés par les personnes et le bétail, puis excrétés dans les égouts ou directement dans l’environnement. Certains peuvent directement émaner des usines pharmaceutiques. Les substances les plus souvent identifiées dans le cadre de l’étude sont : la carbamazépine (un médicament antiépileptique difficile à décomposer), la metformine (un médicament contre le diabète) et la caféine. Les trois ont été trouvés dans au moins la moitié des sites. Des antibiotiques ont été détectés à des niveaux de concentration dangereux dans un site sur cinq. Plusieurs lieux sur la planète ont présenté des niveaux très élevés d’IPA : Lahore (Pakistan), La Paz (Bolivie) et Addis-Abeba (Éthiopie). Madrid figure parmi les 10 % des sites où les IPA sont les plus concentrés ; Glasgow et Dallas font partie des 20 % où la concentration d’IPA est la plus élevée.
Une étude publiée en janvier par la revue The Lancet estime que près de cinq millions de personnes sont décédées en 2019 d’infections bactériennes résistantes aux antibiotiques. Les régions concernées par cette antibiorésistance coïncident avec celles présentant le plus haut niveau de pollution provoquée par les médicaments. Cela pourrait laisser penser que la contamination des rivières joue un rôle dans l’augmentation de l’antibiorésistance. La rivière Kai Tak à Hong Kong compte trente-quatre IPA différents sur un seul site. De fait, les risques écologiques pourraient être encore plus importants en raison des interactions toxicologiques de ces « cocktails ». Plus de deux mille cinq cents produits pharmaceutiques sont employés dans le monde, mais les technologies actuelles ne permettent d’en analyser que cinquante à cent à partir d’un unique échantillon, de sorte que les chercheurs se sont concentrés sur les plus couramment utilisés.
Les concentrations de principes actifs les plus élevées ont été trouvées dans les pays à revenu faible à intermédiaire, notamment en Inde et au Nigéria. Le traitement des eaux usées est déterminant pour minimiser, mais pas nécessairement pour éliminer les concentrations de produits pharmaceutiques. Cependant, cela coûte très cher, et peu de contrats d’assainissement intègrent cette prestation. L’utilisation plus prudente des médicaments est un autre moyen de réduire cette pollution, autant dans les prescriptions pour les êtres humains que pour les animaux. Les investisseurs financiers commencent à se mobiliser sur cette question, non seulement auprès de l’industrie pharmaceutique, mais aussi des autres secteurs concernés (agroalimentaire, restauration…).