Le 5 mai dernier, le groupe Total a pris de nouveaux engagements climatiques qui prévoient notamment les points suivants : atteindre la neutralité carbone au plan mondial sur les scopes 1 et 2 au plus tard en 2050 ; atteindre la neutralité carbone en Europe sur les scopes 1, 2 et 3 au plus tard en 2050 ; réduire d’au moins 60 % l’intensité carbone de ses produits dans le monde d’ici à 2050. Cette déclaration fait suite à des discussions entre le groupe et une coalition d’investisseurs réunis au sein de l’initiative Climate Action 100+ codirigée par BNP Paribas AM et Federated Hermes et qui rassemble plus de 25 % des actionnaires de la société.
Plusieurs remarques s’imposent. Tout d’abord, la déclaration ne satisfait pas les écologistes, qui soulignent que réduire l’intensité carbone des produits ne répond pas aux impératifs climatiques. Lutter contre le changement climatique nécessite de diminuer les émissions de GES en valeur absolue et non pas en valeur relative. Les deux approches ne sont pas incompatibles. Mais si la première permet de mesurer de manière effective la diminution de l’impact sur le milieu, la seconde n’évalue que l’évolution de la performance, sans augurer de son efficacité réelle en termes d’impact. Par ailleurs, les associations relèvent que l’intégration dans les engagements de tout le cycle d’émission (scopes 1, 2 et 3) ne concerne que l’Europe, alors que bon nombre de leviers de croissance du groupe sont situés hors du continent. Enfin, elles rappellent que les dispositions annoncées n’impliquent pas une transformation déterminante du modèle d’affaire de Total, une orientation expressément réclamée par les ONG.
Le 4 mai, le conseil d’administration du groupe a décidé d’inscrire à l’ordre du jour de sa prochaine assemblée générale – qui se déroulera le 29 mai – le projet de résolution déposé par une autre coalition d’investisseurs (IE n° 321). La demande est plus exigeante que l’accord conclu entre Total et Climate Action 100+. En effet, elle recouvre tout le champ (scopes 1, 2 et 3), et ce en valeur absolue, et vise à s’inscrire dans les statuts de la société. Dans son avis de convocation, la compagnie précise « qu’en visant à faire préciser dans les statuts de la Société le contenu du rapport de gestion, la résolution proposée porte atteinte aux prérogatives du conseil d’administration et conduit à une immixtion de l’assemblée générale dans la sphère de compétences du conseil d’administration ». Elle a néanmoins décidé d’inscrire le projet à l’ordre du jour de l’assemblée. Cette décision suscite plusieurs réflexions. En premier lieu, le droit français et les pratiques offrent au conseil d’administration d’une entreprise cotée une grande latitude pour inscrire ou non un projet de résolution externe à l’ordre du jour de l’assemblée générale (et peu de recours aux actionnaires). En second lieu, Total accepte, voire semble vouloir provoquer, la confrontation entre les différences d’approche dans l’engagement. Il est difficile de deviner les intentions de la compagnie pétrolière, mais on peut penser qu’elle a pris des dispositions pour s’assurer que le débat minore l’importance du groupe d’actionnaires le plus exigeant.
Quoi qu’il en soit, cette situation montre qu’un engagement actif, y compris lorsqu’il s’appuie sur la comparaison avec les entreprises concurrentes, porte des fruits, même si ces derniers n’atteignent pas immédiatement le plus haut degré d’exigence. Mais en l’espèce, la question posée consiste aussi à s’interroger sur la fermeté et la constance que Total entend mettre en œuvre pour « positivement influencer l’évolution de la demande » et « rendre disponibles des énergies plus propres au gré de l’évolution des modes d’usage ». En d’autres termes, un leader doit-il suivre, accompagner ou créer la tendance ?