Le 12 décembre dernier se tenait au tribunal de grande instance de Nanterre le premier procès en lien avec la loi française sur le devoir de vigilance du 27 mars 2017 (articles L. 225-102-4 et L. 225-102-5 du code de commerce). Les associations françaises Survie et Les Amis de la Terre, ainsi que quatre associations ougandaises, demandaient à la justice française de reconnaître que Total créait un trouble illicite dans ses obligations en matière de vigilance dans le cadre de deux projets pétroliers (exploration et construction d’un oléoduc) menés par la compagnie en Ouganda (Voir IE).
Tout d’abord, le groupe français a soutenu l’exception de compétence du tribunal de grande instance. Pour Total, la loi oblige les entreprises à mettre en place des procédures relevant de la gestion. De ce fait, cette affaire serait du ressort du tribunal de commerce. Pour les demandeurs, à l’inverse, le code de commerce ne traite que de litiges objectivement commerciaux et de contentieux liés à la vie sociale de l’entreprise, ce qui n’est pas le cas dans la présente affaire. Total SA a également contesté l’intérêt des associations à agir, arguant que leur objet social était trop large et que les mentions relatives aux droits humains et au plan de vigilance n’y figuraient pas. Les associations, de leur côté, ont indiqué qu’elles intervenaient en leur nom propre en faveur de l’intérêt général et que les projets portaient bien atteinte à leurs statuts.
Les deux parties ont été d’accord pour dire qu’un plan de vigilance existait. Mais les demandeurs ont souligné que ce plan était vide, que la cartographie des risques était trop générique, qu’aucune mesure hiérarchisée n’était décrite, etc., ce qui correspondait, de fait, à une absence de plan. Pour Total, au contraire, la loi n’oblige pas à lister tous les risques. Le plan s’applique à tous les projets et s’appuie sur de nombreux engagements, documents et procédures internes.
Par ailleurs, le groupe a soutenu qu’il ne saurait être astreint à mettre en œuvre des obligations qui incombent à sa filiale locale, TEPU. Cela reviendrait, selon Total, à faire obstacle à l’indépendance des filiales, alors que l’accord-cadre (LARF – Land Acquisition and Resettlement Framework), dont le groupe n’est pas partie prenante, suffit. Mais pour les ONG, Total devait s’assurer que cet accord était effectif. Le groupe a répondu qu’un code de conduite, des procédures et une organisation dédiée existaient et que lorsque des difficultés avaient été constatées, elles avaient été transmises à l’échelon supérieur et que des mesures avaient été prises dans une démarche d’amélioration continue. Préalablement, les associations avaient souligné que le partenaire Atacama Consulting, chargé de régler les problèmes sur place, avait mis en œuvre des mesures très tardives, insuffisantes et inadaptées, et que la société mère de TEPU n’était pas intervenue. Elles avaient également précisé que si la relocalisation et la réinstallation des personnes étaient prévues dans le LARF, des témoignages écrits montraient que de très nombreuses personnes dépossédées de leurs terres avaient dû attendre de longs mois avant d’être indemnisées. Privées de leur seul moyen de subsistance, elles avaient subi des manœuvres d’intimidation et avaient été menacées par la famine.
A l’issue de plus de deux heures et demi d’audience, la présidente du tribunal, Catherine Pautrat, a mis sa décision en délibéré au 30 janvier 2020.