La présence en un lieu donné de ressources minières ou pétrolières attise les convoitises. Lorsque les États ne garantissent pas le droit, les convoitises prospèrent et donnent naissance à toutes les formes d’exactions. TotalEnergies est confrontée à cette logique dans de nombreuses régions du monde, et notamment au Mozambique, où la compagnie développe l’un de ses plus grands projets gaziers (Mozambique LNG).
À la suite d’une offensive d’envergure menée en 2021 contre la ville portuaire de Palma par Al-Shabab, un groupe armé affilié à l’État islamique, le projet a été mis en situation d’urgence et gelé. En mars de la même année, des salariés de sous-traitants de TotalEnergies, n’ayant pu être évacués de l’hôtel où ils s’étaient réfugiés, se sont enfuis, mais sont tombés dans une embuscade. Trois rescapés de ce guet-apens et quatre ayants droit de victimes qui y ont perdu la vie ont déposé une plainte pénale contre TotalEnergies devant le tribunal de Nanterre pour « homicide involontaire » et « non-assistance à personne en danger ». En mai 2014, le parquet a annoncé qu’il ouvrait une enquête préliminaire afin de déterminer s’il fallait poursuivre l’entreprise.
Le 26 septembre 2024, le média étatsunien Politico a publié une enquête approfondie menée dans la région du conflit. Il a découvert qu’au cours de l’été 2021, une unité militaire mozambicaine avait perpétré les pires atrocités sur des civils. Le journaliste Alex Perry a recueilli plusieurs récits auprès de témoins et survivants de ces exactions. Lors de la contre-offensive dirigée par l’armée régulière, celle-ci a rassemblé 180 à 250 réfugiés qui avaient fui les zones de combat, les soupçonnant d’appartenir à la rébellion. Les militaires ont séparé les hommes des femmes, ont commis des agressions sexuelles sur ces dernières, ont transféré par camion les hommes devant l’entrée principale de l’installation de TotalEnergies d’Afungi et les ont entassés dans deux conteneurs en acier.
Situés en pleine chaleur, les conteneurs étaient dépourvus de fenêtres. Les détenus ne pouvaient pas s’asseoir. Ils ont été privés de nourriture et d’eau pendant plusieurs jours. Il n’y avait pas de toilettes, ce qui obligeait les hommes à se faire dessus. Les commandos arrivaient le matin depuis l’enceinte de TotalEnergies ou de couchettes installées dans un conteneur voisin, et battaient et torturaient régulièrement les prisonniers. Périodiquement, les militaires les réquisitionnaient par petits groupes d’une quinzaine de personnes pour aller creuser des trous afin d’y enfouir les poubelles. Mais aucun d’entre eux n’est jamais revenu. En septembre 2021, ces hommes ont été libérés par les troupes rwandaises intervenant dans la région dans le cadre d’un accord avec le Mozambique. Il ne restait que 26 prisonniers.
Maxime Rabilloud, le directeur général de Mozambique LNG, a affirmé que son entreprise n’avait « aucune connaissance des événements présumés décrits ». De plus, aucun membre du personnel n’était présent sur le site au moment des meurtres, laissant Afungi « sous le contrôle des forces de sécurité publique mozambicaines ».
Alex Perry a aussi examiné comment TotalEnergies pourrait être assignée dans le cadre de cette tragédie. Il suggère en premier lieu qu’il serait difficile pour la compagnie d’ignorer la capacité des forces mozambicaines à perpétrer de telles abominations compte tenu de son passé et de sa réputation. Des documents internes de la société attestent également que celle-ci était au courant des accusations d’abus réguliers commis dans la zone par des soldats mozambicains. L’endroit où étaient détenus les prisonniers était connu, et ce qu’il « s’y passait était de notoriété publique ». Pendant cette période, l’entreprise a maintenu des contacts réguliers avec de nombreuses personnes sur place. Des sous-traitants blancs ont essayé, en vain, de donner de l’eau et de la nourriture aux détenus. D’après un cabinet d’avocats montréalais, « Total a la responsabilité de traiter les impacts potentiels auxquels elle est directement lié par ses relations d’affaires (par exemple avec les forces de sécurité publique) ».