Plusieurs analyses récentes récusent l’idée que le développement des hydrocarbures contribuerait au développement des pays africains

Les découvertes de pétrole et de gaz sont en plein essor en Afrique. Pour les pays producteurs, comme pour les opérateurs d’hydrocarbures, cette effervescence doit favoriser le développement et l’accès des populations à l’énergie. Cette exhortation est cependant en contradiction avec les contraintes imposées par l’urgence climatique. Elle va également à l’encontre des observations faites depuis des décennies par les associations intervenant dans les domaines du développement et des droits humains.

Dans un article du 12 février 2024, Bloomberg fait un constat identique. Le média s’appuie surtout sur l’exemple du Sénégal. La découverte en 2015 de gisements de classe mondiale au large des côtes du pays avait ouvert des perspectives prometteuses. Malheureusement, comme souvent, la réalité n’a pas répondu aux attentes. De nombreux facteurs expliquent ce phénomène : les retards dans la mise en œuvre des programmes, les incertitudes politiques, la mauvaise gestion des projets [et la corruption, NDLR]. Ceux-ci ont conduit les pays producteurs à s’endetter excessivement. Ainsi, le coût de la dette extérieure du Sénégal augmente sans cesse, le Mozambique a dû restructurer la sienne, et le Ghana est devenu l’un des pays africains les plus endettés.

Sur le continent, les marchés intérieurs ne peuvent rivaliser avec les pays développés. Les sociétés étrangères rechignent à travailler sur des champs qui ne ciblent pas les marchés d’exportation. Les découvertes n’ont donc pas vraiment contribué à améliorer les conditions énergétiques des ménages et n’ont pas approvisionné les industries locales. L’Afrique est le seul continent où le nombre de personnes n’ayant pas accès à l’électricité a augmenté au fil des années.

Une analyse de la situation tchadienne publiée le 5 février par le Center on Global Energy Policy (Columbia SIPA) corrobore ces observations. Le Tchad possède les 10 plus importantes réserves pétrolières prouvées d’Afrique. Le secteur pétrolier représente 30 % du PIB du pays, 86 % de ses revenus d’exportation et 62 % de ses recettes budgétaires.

Malgré cela, le Tchad se positionne en bas du classement en matière d’accès à l’énergie. Seulement 10 % de la population tchadienne bénéficient de l’électricité. Les habitants sont par ailleurs confrontés à de nombreuses coupures de courant. De plus, les prix sont parmi les plus élevés de la région. Des investissements importants seraient essentiels pour remédier à cette situation. Cependant, les ressources pétrolières et le service public servent davantage à promouvoir le clientélisme et à financer la lutte pour le pouvoir qu’à financer la croissance ou à favoriser l’inclusion sociale.

L’étude conclut en affirmant que l’idée selon laquelle encourager les investissements pour accroître la production pétrolière dans les États africains conduira nécessairement à un meilleur accès à l’énergie au niveau local est illusoire. D’autres pays comme l’Angola et le Nigeria montrent que des exportations pétrolières élevées et fiables n’ont pas permis de réduire la pauvreté énergétique. Pour les auteurs du document, il est important de conserver ces réalités à l’esprit « pour nuancer les discussions souvent simplistes sur les politiques climatiques et les transitions énergétiques sur le continent », et ce, d’autant que de nouveaux pays africains producteurs d’hydrocarbures émergent sur la scène (Mozambique, Somalie, Ouganda).