Une marque de mode néerlandaise condamnée à payer des dommages et intérêts à un fournisseur vietnamien pour avoir rompu ses relations commerciales pendant la pandémie

Le 24 avril 2013, l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh avait causé la mort de plus de 1 130 personnes, suscitant une émotion mondiale. Ce drame a conduit à la signature d’un accord au Bangladesh entre manufactures, grandes marques et syndicats pour améliorer la sécurité dans les usines textiles. Il a récemment été étendu au Pakistan. Cette catastrophe a également mené le Parlement français à voter en mars 2017 une loi sur le devoir de vigilance. Ce texte rend les grandes entreprises responsables à l’étranger des agissements de leurs filiales, mais aussi des fournisseurs et sous-traitants avec lesquels elles entretiennent des relations établies. Des discussions se poursuivent actuellement à l’échelle européenne pour élargir ces obligations à l’Union.

Pour autant, la situation est loin d’être idyllique. Conditions de travail épouvantables, horaires insoutenables, salaires indécents et emplois précaires sont encore souvent la règle dans les usines de confection à travers le monde. Mais ici ou là, des initiatives émergent malgré tout afin d’agrandir le champ de responsabilité des donneurs d’ordres au sujet des conditions de travail de leurs sous-traitants.

Ainsi, le 10 mars 2021, sevré de commandes à cause de la crise sanitaire comme de nombreuses usines dans le monde, le site thaïlandais Brilliant Alliance Thai Global avait fermé ses portes et licencié 1 388 personnes sans indemnités. La justice thaïlandaise avait alors ordonné à son propriétaire, Clover Group, d’en verser. Mais celui-ci avait refusé, affirmant qu’il n’en avait pas les moyens. Sous la pression des syndicats et des organisations internationales, l’un de ses clients, la marque de lingerie étatsunienne Victoria’s Secret, avait alors accepté, le 25 mai 2022, de prêter à Clover le montant nécessaire au paiement des indemnités.

Un nouveau cas qui met en exergue la responsabilité transfrontalière des grandes marques a été rendu public le 7 avril 2023. En 2020, la marque de mode G-Star RAW a rencontré des difficultés en partie à cause de la crise sanitaire. Plusieurs de ses filiales ont fait faillite, et l’entreprise a engagé une réorganisation radicale de son réseau de distribution. Dans le même temps, elle a réduit ses approvisionnements auprès de ses fournisseurs. C’est ce qu’il s’est passé pour l’usine vietnamienne de la firme hongkongaise Vert Asia. G-Star a d’abord diminué, puis annulé toutes ses commandes de vestes de type Whistler. Cela a conduit à la fermeture de l’usine vietnamienne. Vert a saisi la justice néerlandaise pour réclamer des dommages et intérêts. Dans un jugement interlocutoire (i.e. provisoire), le tribunal d’Amsterdam lui a donné raison le 7 avril. Certes, un accord-cadre avait été conclu fin 2018 entre Vert et G-Star afin de garantir que Vert produirait toutes les vestes Whistler en 2019, 2020 et 2021. Mais l’affaire n’était pas gagnée pour autant pour Vert, car G-Star contestait que ce contrat-cadre constituât une obligation d’achat.

Pour justifier sa décision, la cour a rappelé que G-Star et Vert avaient établi une relation de longue date, et que G-Star représentait la quasi-totalité de la capacité de production de Vert depuis plusieurs années. Elle a aussi précisé que dans son code de conduite et sa politique RSE, G-Star s’était engagé à respecter un travail décent et que, sans une activité constante, une grande partie des employés de Vert seraient sous-payés et devraient chercher un autre travail. G-Star avait également informé Vert qu’il réfléchirait à des options pour réduire les licenciements dans l’usine, mais ne l’a pas fait.

La décision est importante, car elle va au-delà des engagements pris par certaines firmes du secteur à la suite de la pandémie. En 2020, plus de 80 entreprises de confection en Amérique du Nord et dans l’Union européenne se sont engagées à régler les articles déjà en production dans le cadre d’un accord négocié entre l’Organisation internationale des Employeurs, la Confédération syndicale internationale et IndustriALL Global Union. Les sociétés promettaient de payer les marchandises pour lesquelles un bon de commande avait été passé. Cet accord était considéré comme la norme de l’industrie. G-Star ne l’a cependant pas signé.

Dans la présente affaire, G-Star n’a passé aucun bon de commande, et aucune marchandise n’était en production. En d’autres termes, le tribunal a validé une norme plus élevée que l’accord industriel susmentionné. Cette décision d’un tribunal européen en faveur d’une entreprise asiatique montre que les fournisseurs sont en mesure de réclamer une compensation financière pour les pertes subies lors de la pandémie de COVID-19. Un jugement définitif doit encore être prononcé, mais pour le moment, nous n’en connaissons pas la date.