La « privatisation du vivant » recouvre plusieurs acceptions. Le plus souvent, l’expression fait référence à l’appropriation de plantes et de semences par des intérêts privés à travers la propriété intellectuelle. Les entreprises qui mènent des activités dans ce domaine jugent que les dépenses qu’elles ont engagées pour découvrir les propriétés de ces organismes – même lorsque celles-ci étaient connues depuis des siècles par des populations locales – et pour en élargir le nombre de bénéficiaires nécessitent un retour sur investissement.
Néanmoins, de nombreuses organisations militantes à travers le monde s’opposent à cette vision. Elles considèrent que le patrimoine génétique planétaire est un bien dont chacun doit pouvoir bénéficier tout en le préservant. En constituant une barrière qui freine l’accès du plus grand nombre à ce patrimoine, la brevetabilité des organismes vivants va à l’encontre de ce principe.
En mai 2013, l’Office européen des brevets (OEB) à Munich a accordé à la société suisse Syngenta les droits exclusifs (le brevet EP2140023) sur toutes les variétés de poivrons présentant une résistance aux mouches blanches (aleurodes). Cela interdit aux agriculteurs d’utiliser librement ces plantes. Le 3 février 2014, une alliance de 32 organisations (ONG, sélectionneurs végétaux, organisations d’agriculteurs) issues de 27 pays a déposé un recours devant l’OEB pour contester cette décision. Elle a en effet souligné que la résistance à ces insectes avait été obtenue en croisant un poivron sauvage de Jamaïque (dont les caractéristiques lui permettent de résister aux aleurodes) avec un poivron commercial. La variété sauvage avait été acquise auprès de CGN, une banque de gènes située à Wageningen, aux Pays-Bas. Pour les organisations, il ne s’agissait donc pas d’une invention, mais tout au plus d’une découverte. Breveter une résistance aux insectes à partir d’un poivron sauvage relèverait de la biopiraterie.
En avril 2020, la grande chambre de recours de l’OEB a rendu une décision de principe selon laquelle les plantes et les animaux issus de procédés d’obtention « essentiellement biologiques » n’étaient pas brevetables. Mais cette décision n’est valable que pour les brevets déposés après le 1er juillet 2017.
Le 16 février 2023, l’OEB a répondu au recours formulé par l’alliance en 2014. Elle a confirmé les droits de Syngenta. En d’autres termes, quiconque utilisera des poivrons sauvages jamaïcains conservés dans la banque de gènes néerlandaise devra s’attendre à ce que sa nouvelle variété relève du brevet EP2140023. Pour les membres de l’alliance, cette décision est révoltante. Elle entrave le libre accès au matériel génétique sauvage, en particulier pour les petites et moyennes entreprises, et donc le développement de nouvelles variétés. De plus, il aura fallu 9 ans avant que le recours ne soit entendu en première instance.