Cela fait plusieurs décennies que la question se pose : faut-il ou non investir dans une dictature ? Pour la Birmanie (Myanmar), elle se pose avec insistance depuis l’implantation de Total dans ce pays en 1992 (et également d’Unocal à l’époque). De nombreux arguments ont été et continuent d’être avancés par ceux qui fournissent une réponse positive à la question. Si ce n’est pas nous qui investissons, d’autres, pires que nous, le feront à notre place. Ou bien, grâce à nos investissements, nous participons à l’ouverture du pays, et donc à sa démocratisation. Cet argument a été utilisé par le groupe TotalEnergies jusqu’à ce qu’il reconnaisse au bout de 30 ans, le 21 janvier 2022 précisément, que « le contexte [depuis le coup d’État de février 2021] ne permet plus à TotalEnergies d’apporter une contribution positive suffisante dans ce pays ». Mais, au cours des trois décennies écoulées, le contexte a-t-il permis d’apporter une indéniable contribution positive à la population ?
Le collectif Ethical Trading Initiative (ETI) réunit des entreprises, des syndicats et des ONG. Dans un rapport rendu public le 12 septembre 2022, ETI a voulu répondre à la question suivante : les firmes du secteur de l’habillement peuvent-elles poursuivre leurs activités au Myanmar tout en respectant les normes internationales et des lignes directrices commerciales responsables ? ETI a chargé le cabinet de conseil Due Diligence Design de mener une évaluation indépendante avec le soutien d’experts sur les droits humains. Cette évaluation prend en compte les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme (UNGP). Selon l’étude, il est impossible pour les sociétés d’appliquer une diligence raisonnable normale en matière de droits humains dans le secteur de l’habillement au Myanmar, sans parler de la diligence raisonnable accrue qu’exige la situation actuelle dans ce pays.
Pour étayer sa démonstration, l’étude affirme que, dans ce pays, le devoir de l’État de protéger les droits humains, comme le réclame le droit international, n’est pas respecté. Elle poursuit en disant que la possibilité pour les entreprises de respecter ces droits est considérablement restreinte. Elle démontre qu’une culture de la peur imprègne la vie quotidienne et s’étend au lieu de travail. L’armée est omniprésente dans la gestion des autorités locales et la « sécurité » industrielle. Les syndicats déclarent ne pas pouvoir fonctionner normalement. En d’autres termes, les travailleurs ne sont pas en mesure d’exercer leur droit à la liberté d’association, conformément aux normes internationales du travail. L’accès aux recours, judiciaires, administratifs, législatifs ou autres, est fortement limité. Les acteurs non étatiques, tels que les institutions ou les acteurs de la société civile, ne peuvent remplir ce rôle en toute sécurité, car plusieurs organisations sont désormais considérées comme illégales.
Sur la base des conclusions de son rapport, l’ETI exhorte les entreprises impliquées dans la fabrication de vêtements destinés à l’exportation à réévaluer leur présence au Myanmar, tout en ayant conscience que cela aura un impact significatif sur les travailleurs, quelle que soit l’action prise, et que des mesures pour atténuer ces impacts doivent faire partie des décisions prises.