Faut-il sortir les titres d’un portefeuille pour influencer les orientations d’une entreprise, ou vaut-il mieux les conserver afin de mener une politique d’engagement ? La question continue à faire couler de l’encre. Le 7 juin 2022, le Financial Times a rédigé un intéressant panorama des arguments des deux parties sur son Moral Money Forum.
Le mouvement de désinvestissement des énergies fossiles est en plein essor. Le 22 février dernier, le site stand.earth a révélé que plus de 1 500 institutions gérant globalement 40 000 milliards de dollars se sont engagées à céder leurs actions dans les combustibles fossiles (contre 15 000 milliards de dollars une année auparavant). Avec 35 % du total, les organisations confessionnelles en constituent la première catégorie d’investisseurs ; viennent ensuite les établissements d’enseignement (15 %), les fondations philanthropiques (12,5 %) et les fonds de pension (12 %).
Ceux qui militent pour un désinvestissement à grande échelle soutiennent que cette démarche établit un lien clair avec la cible – en l’occurrence, les sociétés pétrolières, gazières et charbonnières. Cela retire aussi à ces entreprises ou à ces secteurs leur « permis social d’opérer », ce qui leur fait courir le risque de devenir socialement indésirables. En conséquence, cela crée un contexte propice pour inciter les décideurs politiques à durcir les réglementations. Vue sous cet angle, une campagne de désinvestissement semble beaucoup plus efficace pour susciter une prise de conscience qu’une campagne d’engagement.
Certains investisseurs invoquent également des raisons économiques pour s’émanciper des combustibles fossiles, comme le fait de se retrouver avec des « actifs échoués » (stranded assets) difficiles à vendre. Les raisons qui peuvent générer de tels actifs sont multiples : litiges potentiels, introduction de tarifications du carbone, accroissement de la concurrence avec les technologies propres de moins en moins chères. Une politique de désinvestissement ne pèse d’ailleurs pas toujours sur les rendements. Dans son dernier rapport, le réseau Divest Invest a ainsi comparé l’indice S&P 500, avec et sans inclusion des sociétés de combustibles fossiles. Entre 2012 et 2021, ce dernier a surperformé le premier. L’augmentation des prix de l’énergie après l’invasion de l’Ukraine par la Russie a cependant entraîné des rebonds (provisoires) de nombreuses valeurs énergétiques.
Mais, pour d’autres, ces stratégies ne sèvrent pas de capitaux les sociétés concernées. Certains fonds considèrent aussi que désinvestir des secteurs controversés peut augmenter le risque d’un portefeuille en réduisant sa diversification, alors que d’autres estiment que, dans la durée, cette politique leur avait coûté cher.
Dans une étude intitulée Exit vs Voice datée de 2020, des chercheurs ont évalué que le désengagement était moins efficace que le dialogue pour influencer une entreprise. La cession d’actifs peut faire baisser le cours de l’action et, donc, inciter des investisseurs ayant une perspective purement financière à acheter les valeurs. Des sociétés de gestion, telles que le géant BlackRock, craignent ainsi que la pression exercée sur les entreprises pour qu’elles se délestent d’actifs à forte intensité de carbone conduise à ce que ces derniers soient récupérés par des propriétaires privés tels que les fonds spéculatifs, moins surveillés sur les questions environnementales. De plus, le groupe pense qu’il faudrait encourager les évolutions de transformation vertueuse par le dialogue.
L’engagement commence souvent par des discussions en coulisse qui demandent d’abord aux firmes de divulguer leurs niveaux d’émissions, puis de prendre des mesures pour les réduire. Quoi qu’il en soit, pour être efficace, l’engagement doit brandir la menace d’un désinvestissement si les sociétés ne modifient pas leur démarche. Il convient alors de fixer des échéances très claires. Une autre option est d’exercer son droit de vote lors des assemblées annuelles pour mettre en jeu le renouvellement des mandats des membres des conseils d’administration.
Les stratégies de désinvestissement et d’engagement ont besoin de temps, et il n’est pas toujours évident de percevoir des résultats tangibles. Mais il existe une classe d’actifs qui permet aux investisseurs de manier un levier de changement immédiat : la dette. Dans ce cas, la menace consiste à refuser d’accorder des financements à un moment critique si certaines conditions environnementales ou sociales ne sont pas remplies. La plupart des sociétés doivent, en effet, contracter de nouveaux emprunts chaque année.
Il est également possible de combiner les stratégies et/ou de les adapter aux différentes classes d’actifs, secteurs et types d’investissements. Stand.earth, qui milite pour le désinvestissement des entreprises dont l’activité est la production et le transport de combustibles fossiles, pense, par exemple, que l’engagement peut mieux fonctionner sur les sociétés dont les combustibles fossiles ne constituent pas le cœur de métier. D’autres estiment que le désinvestissement peut être efficace, mais uniquement dans des secteurs tels que la pétrochimie, les plastiques, les produits chimiques et les produits pharmaceutiques, qui mettent du temps à adopter des technologies alternatives.