Lorsqu’un enjeu de société majeur émerge, même s’il n’emporte pas immédiatement l’adhésion, il la porte en germe. A un moment, l’évidence s’impose. Le tout est de savoir quand il convient de rallier le mouvement. Faut-il l’encourager ? Faut-il le suivre ? Ces questions se posent pour de nombreuses entreprises, surtout lorsqu’elles occupent une position de leader. C’est le cas du groupe pétrolier norvégien Equinor, première entreprise du pays. L’entreprise est d’autant plus observée que le fonds souverain norvégien – alimenté pour une grande part par les revenus excédentaires émanant de l’exploration pétrolière du pays – revendique une politique d’investissement responsable (voir IE).
C’est pourquoi la décision du groupe, annoncée le 25 février dernier, d’abandonner son projet de forage dans la Grande Baie australienne a été saluée comme une « énorme victoire » par les mouvements écologistes et une partie de la classe politique australienne, qui considèrent cet espace maritime comme un sanctuaire unique pour la faune marine. Lors de sa dernière assemblée générale, en mai 2019, ce projet avait fait l’objet de nombreuses interventions de la part de représentants d’organisations australiennes et norvégiennes, ainsi que d’un projet de résolution d’actionnaires (qui avait cependant recueilli un faible pourcentage d’adhésions de la part des votants). La résolution faisait également référence à l’implication d’Equinor dans l’exploration pétrolière de la mer de Barents (dans le cercle arctique, IE n° 246) et aux autres sites sensibles ou à haute valeur écologique.
Pour justifier sa décision, la compagnie a déclaré qu’un examen de son portefeuille mondial d’exploration avait montré de meilleures opportunités ailleurs pour le développement de nouveaux gisements. Le rendement attendu des gisements, leur coût d’exploitation (grandissant à cause des difficultés d’accès), les incertitudes sur l’évolution à long terme de la demande mondiale en hydrocarbures jouent toujours un rôle dans le choix des investissements. Mais le risque de réputation (y compris auprès des jeunes diplômés) a vraisemblablement pesé de manière non négligeable dans l’arbitrage. D’une manière générale, cette combinaison de facteurs pourrait conduire à une réduction de plus en plus importante du périmètre de prospection potentiel des groupes pétro-gaziers.