Quand, pour une entreprise, prendre parti pour un mouvement social relève de l’opportunisme et de l’amateurisme

Le groupe Carrefour a été l’un des premiers en France à s’aventurer sur le terrain de la responsabilité élargie dès la première moitié des années 90. Plusieurs raisons ont présidé à cette réalité. Tout d’abord, parce que, d’une certaine manière, la grande distribution représente l’exemple type du secteur au sein duquel il faut améliorer les relations entre donneurs d’ordres, sous-traitants et fournisseurs. Ensuite, parce que ce secteur est en contact direct avec les consommateurs, ce qui l’expose à d’éventuelles pressions de leur part. Enfin, parce que le groupe a fait l’objet, à cette époque, de campagnes d’interpellation de la part du monde associatif et syndical.

Dans l’idéal, s’interroger sur sa responsabilité sociétale revient, pour une entreprise, à intégrer dans sa stratégie commerciale l’intérêt collectif et les valeurs qui animent les sociétés dans lesquelles elle évolue. Cela peut aller jusqu’à s’opposer publiquement à des décisions prises par les autorités. Cela a été le cas, par exemple, quand Ben & Jerry’s a critiqué ouvertement la loi britannique de 2023 sur la migration illégale qui empêche les réfugiés de demander l’asile au Royaume-Uni s’ils arrivent par la mer. Cela a aussi été le cas lorsqu’en 1995, les producteurs de beaujolais nouveau ont protesté par voie de presse contre la reprise des essais nucléaires français dans le Pacifique décidée par le président Jacques Chirac. Il faut dire que des campagnes de boycott contre ce vin s’étaient déclarées dans plusieurs pays, et notamment aux Pays-Bas, qui en étaient l’un des principaux importateurs à cette époque.

Le 13 novembre, l’association foodwatch a révélé les conclusions d’un audit de la Commission européenne réalisé au cours du premier semestre 2024, selon lequel les autorités brésiliennes n’étaient pas en mesure de garantir que le bœuf brésilien importé sur le territoire de l’Union était exempt d’estradiol 17β, une hormone de croissance interdite dans l’espace européen. En parallèle, les manifestations des agriculteurs français protestant contre leurs conditions de vie et les négociations sur un accord commercial entre l’Union européenne et les pays du Mercosur battaient leur plein.

C’est dans ce contexte que, le 20 novembre 2024, Alexandre Bompard, directeur général de Carrefour, a publié sur X une lettre au président de la FNSEA. Dans cette lettre, il indiquait comprendre le désarroi des agriculteurs face « au risque de débordement sur le marché français d’une production de viande ne respectant pas ses exigences et ses normes ». Il s’engageait aussi à ne commercialiser en France aucune viande en provenance du Mercosur et appelait les autres acteurs de la distribution et de la restauration à rejoindre le mouvement.

La réaction ne s’est pas fait attendre, à la fois de la part de l’ambassade du Brésil en France et des principaux producteurs brésiliens de viande, comme JBS et Marfrig, qui ont suspendu leurs approvisionnements aux magasins de Carrefour au Brésil, deuxième marché du groupe. Face à cette réaction, le 26 novembre 2024, Alexandre Bombard a fait machine arrière et a présenté ses excuses au gouvernement brésilien, évoquant un problème de communication.