Le 29 janvier 1991 et le 23 mai 2007, l’administration fiscale irlandaise a émis deux rescrits fiscaux qui approuvaient les méthodes utilisées par deux filiales de droit irlandais (mais qui n’étaient pas résidentes fiscales irlandaises) du groupe Apple pour déterminer les bénéfices imposables en Irlande des activités de leurs succursales irlandaises. La Commission européenne a diligenté une enquête en matière d’aides d’État en juin 2014 et a adopté, le 30 août 2016, une décision portant sur ces deux rescrits. La Commission a considéré que ces derniers avaient substantiellement et artificiellement réduit le montant de l’impôt payé par le groupe en Irlande depuis 1991.
La plupart des bénéfices étaient en effet enregistrés au niveau de leurs sièges sociaux. Or, ces derniers n’avaient pas d’activité économique réelle. Ils n’étaient donc pas en mesure de contrôler les licences de propriété intellectuelle du groupe Apple. La Commission a estimé que les bénéfices des deux filiales auraient dû être enregistrés auprès de leurs succursales irlandaises et auraient dû être imposés en Irlande. La Commission a expliqué que « ce traitement sélectif », auquel n’avaient pas accès d’autres multinationales, avait permis au groupe étatsunien de se voir appliquer un taux d’imposition effectif sur les sociétés de 1 % sur ses bénéfices européens en 2003, taux qui a diminué jusqu’à 0,005 % en 2014. La Commission en a conclu que l’Irlande avait accordé à Apple des avantages fiscaux indus pour un montant de 13 milliards d’euros.
L’Irlande et Apple ont demandé au Tribunal de l’Union européenne d’annuler la décision de la Commission. L’Irlande a contesté le fait qu’Apple ait bénéficié d’un traitement de faveur lui donnant la possibilité d’éviter l’impôt sur pratiquement l’intégralité des bénéfices générés par ses ventes en Europe. La firme de Cupertino, quant à elle, a soutenu que ses profits correspondaient, pour l’essentiel, à ses activités de design et de marketing localisées aux États-Unis. Le 15 juillet 2020, le Tribunal a jugé que la Commission n’était pas parvenue à démontrer l’existence d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, du traité de Rome, qui interdit aux pays membres de l’Union d’accorder des aides aux entreprises. C’est à tort que la Commission a déclaré l’existence d’un avantage économique sélectif et d’une aide d’État des deux filiales d’Apple. Le Tribunal a prononcé l’annulation complète de la décision de la Commission.
Mais, le 10 septembre 2024, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a confirmé que l’Irlande avait bien fourni une « aide illégale » grâce à un accord fiscal et a annulé la décision du Tribunal de l’UE. Le fabricant d’iPhone va bien devoir payer 13 milliards d’euros d’arriérés d’impôt qui étaient placés sur un compte séquestre.
Si des ONG, comme le Tax Justice Network, saluent la décision de la CJUE, elles soulignent aussi que cela ne permet pas de remédier aux pratiques fiscales abusives persistantes des multinationales dans l’UE et le reste du monde. Elles pointent du doigt l’échec de la réforme engagée par l’OCDE et appellent au soutien du processus de réforme mondial en cours par le biais de la négociation d’une convention-cadre des Nations unies sur la coopération fiscale internationale.
Si la somme que devra payer Apple peut paraître conséquente, elle est infime en comparaison des bénéfices que l’entreprise enregistre chaque année. Sur le seul troisième trimestre calendaire de son année fiscale 2023/2024 (la société clôture ses comptes au 30 septembre), cette dernière a annoncé un bénéfice de 21,4 milliards de dollars. Ces 13 milliards sont également insignifiants par rapport aux imposantes liquidités dont dispose le groupe. En 2018, Apple a de cette manière pu, grâce à une nouvelle législation fiscale, rapatrier aux États-Unis une partie des 252 milliards de dollars qu’elle détenait à l’étranger. Pour récompenser ses actionnaires et soutenir le cours de ses actions, la firme procède aussi régulièrement à des rachats de ses propres actions. Entre 2013 et 2023, elle a ainsi dépensé 621 milliards de dollars dans ce but. Le 3 mai dernier, la multinationale a annoncé un nouveau programme de rachat record de 110 milliards de dollars.