Une enquête menée par les procureurs Paolo Storari et Luisa Baima Bollone ainsi que par les carabiniers de l’Unité d’inspection du travail (Nucleo ispettorato del lavoro, NIL) a mis à jour, dans les provinces de Milan et de Bergame, un réseau de fabrication de sacs, de ceintures et autres articles de maroquinerie produits par des travailleurs migrants en situation irrégulière. Jusqu’ici, rien de nouveau dans un environnement où le recours à ce type de main-d’œuvre bon marché se généralise, surtout à proximité des voies de migration.
Ce qui est nouveau, c’est que les autorités ont mis en cause une entreprise « indirectement » donneuse d’ordres, la société Giorgio Armani Operations spa, une filiale de la célèbre marque de luxe Giorgio Armani. Cette filiale passait commande de l’intégralité de ses articles auprès d’un fournisseur indépendant : Manifatture Lombarde srl. À son tour, ce dernier confiait la totalité des commandes à des ateliers qui employaient des personnes d’origine chinoise ou pakistanaise en situation irrégulière et, surtout, dans des conditions proches de l’esclavage (caporalato).
Ces ouvriers étaient payés 2 à 3 euros de l’heure. En moyenne, leur journée de travail atteignait 10 heures, et dans certains cas, ils travaillaient 7 jours sur 7. Les sacs qu’ils fabriquaient étaient vendus au sous-traitant d’Armani pour 93 euros, revendus à Armani 250 euros et mis sur le marché pour environ 1 800 euros. Les migrants ont été obligés de manger et de dormir dans les usines, et ce, dans des conditions dégradantes. Ils utilisaient des machines dont les dispositifs de sécurité avaient été intentionnellement retirés, ils étaient exposés à des substances chimiques potentiellement dangereuses…
Les enquêteurs ont déterminé que chez Giorgio Armani Operations spa, « il existe une culture d’entreprise gravement déficiente en matière de contrôle, même minime, de la chaîne de production ; culture enracinée dans la structure de la personne morale qui a en réalité favorisé la perpétuation des délits ». Les comportements « ne semblent pas être le résultat d’initiatives improvisées et isolées de la part d’individus, mais d’une politique d’entreprise illicite. Cela donne lieu à un processus de découplage organisationnel, en vertu duquel, parallèlement à la structure formelle de l’organisation visant à respecter les règles institutionnelles, se développe une autre structure “informelle” qui a pour but de suivre les règles d’efficacité et de résultat ». Le tribunal de Milan a décidé de placer Giorgio Armani Operations sous administration judiciaire pendant un an.