La question de l’utilité des produits et services est une dimension incontournable de la responsabilité des entreprises. La gestion privée et le financement des centres pénitentiaires entrent dans ce champ. De fait, il importe de s’interroger sur les éventuelles conséquences que ces délégations peuvent avoir pour l’ensemble de la société. Participent-elles à l’amélioration des conditions de détention des prisonniers et facilitent-elles leur retour à la vie civile ou, à l’inverse, octroient-elles une légitimité à certaines politiques punitives et alimentent-elles les activités de lobbying en vue de renforcer ces politiques et remplir les prisons ? Avec 539 adultes détenus pour 100 000 habitants en 2019 (sans compter les personnes en détention provisoire, celles détenues dans des centres pour migrants ou des établissements pour enfants), l’Alabama fait partie des États étatsuniens les plus répressifs, loin, il est vrai, derrière la Louisiane (887). En décembre 2020, le ministère américain de la Justice a même intenté une action en justice contre l’État de l’Alabama et son Département de l’administration pénitentiaire, alléguant des violations des droits constitutionnels des détenus dans leur protection contre la violence entre prisonniers, des abus sexuels et un usage excessif de la force de la part du personnel de sécurité.
En juillet 2019, la banque britannique Barclays avait annoncé qu’elle cesserait de financer les sociétés pénitentiaires privées. Mais cette déclaration ne semblait concerner que les prêts. Aussi, la banque a-t-elle accepté d’organiser la souscription d’une offre obligataire de 840 millions de dollars au profit de Governement Real Estate Solutions of Alabama, une filiale de l’entreprise américaine CoreCivic, l’une des principales sociétés mondiales du secteur carcéral, et ce, en vue de financer la construction de deux nouvelles prisons en Alabama. Mais, le 12 avril, un groupe d’une trentaine d’investisseurs, de chefs d’entreprises et de militants a publié une lettre appelant les banques et les investisseurs à ne pas souscrire à la levée de fonds dont le résultat aboutirait à « perpétuer l’incarcération de masse ». Finalement, le 19 avril, devant la faible appétence pour l’offre, Barclays a annoncé qu’elle avait informé son client qu’elle ne participait plus à la transaction et que « si [son] objectif avait été de permettre à l’État d’améliorer ses installations, [elle reconnaissait] qu’il s’agissait d’une question complexe et importante » et que les commentaires qui avaient accompagné cet épisode l’incitaient à revoir sa politique.