Dans le sillage de la retraite de l’Etat islamique, l’agence Conflict Armement Research (CAR) a eu accès aux stocks de matériel militaire abandonnés par les milices. Remontant les filières, CAR a ainsi pu reconstituer en partie l’origine de l’armement ayant permis à Daesh de contrôler une importante partie des territoires syrien et irakien. Elle en a publié les conclusions dans un rapport très documenté paru le 14 décembre. Parmi les produits cités par ce document figurent des sacs de sorbitol, fabriqué par l’usine de Nesle (Somme) de la société française Tereos, retrouvés dans la région de Mossoul et de Tal Afar (Irak). Le sorbitol est un additif alimentaire au pouvoir sucrant deux fois plus faible que le sucre ordinaire, issu de l’amidon du blé ou du maïs. Mais mélangé à du nitrate de potassium, il devient un carburant performant pour les missiles de moyenne portée et pour les roquettes. A la suite d’un article paru sur ce sujet le 10 décembre dans le Journal du Dimanche (JDD), la direction de Tereos a réagi dans un communiqué en indiquant que les réserves découvertes avaient été détournées à son insu et qu’elle avait, après en avoir été informée par CAR à la fin de 2016, « pris la décision de suspendre ses livraisons de sorbitol dans les pays de zones en conflit ou limitrophes de ces conflits, bien que le sorbitol n’ait fait l’objet d’aucune restriction réglementaire à la vente ou à l’exportation, et [avait] mis en place des systèmes de contrôle renforcés à l’exportation ». Selon les enquêteurs de CAR et du JDD, une cargaison, représentant 78 tonnes de sorbitol, a bien été embarquée dans le port d’Anvers (mai 2015) pour être livrée à la société stambouliote Sinerji, avec laquelle Tereos collabore depuis une dizaine d’années, puis cédée à un homme d’affaires turc (Tahir Toprak) avant de s’évaporer dans la nature et d’aboutir entre les mains de Daesh. En filigrane, cette affaire soulève la question de la responsabilité d’une entreprise dans le contrôle de sa chaîne de livraison dans des zones de conflit, notamment pour les produits dont l’usage courant est a priori inoffensif, mais dont les risques de détournement sont loin d’être négligeables.