L’approche de TotalEnergies dans sa lutte contre le changement climatique suscite à nouveau des avis divergents au sein de la communauté financière

L’assemblée générale de TotalEnergies se déroulera le 26 mai 2023. Elle est très attendue. Plusieurs organisations ont appelé à empêcher la tenue de la réunion. L’année dernière, les portes d’entrée principales de l’assemblée avaient été bloquées par des activistes, empêchant les actionnaires de pénétrer dans la salle. Elle a cependant eu lieu… dans l’intimité, avec 10 minutes de retard. Les administrateurs, les membres du bureau, quelques privilégiés et la journaliste Sylvie Aubert ont pu entrer par une petite porte située rue Daru. Comme l’année dernière, l’assemblée se déroulera salle Pleyel.

Cette année, il n’est pas certain que les militants oublient les portes dérobées. Mais pour mémoire, rappelons que le 28 mai 1999, l’assemblée générale d’Elf Aquitaine, très chahutée, avait, à peine ouverte, été suspendue jusqu’au lendemain. Les actionnaires avaient dû attendre le dernier moment pour connaître l’heure et le lieu où se tiendrait la « suite » de la réunion.

Mais l’assemblée de TotalEnergies fera aussi l’objet d’un projet de résolution consultatif déposé par une coalition d’investisseurs. Ce projet réclame que la société prenne en compte les émissions résultant de la combustion de ses produits énergétiques (scope 3) pour évaluer si elle est ou non alignée sur les objectifs de l’accord de Paris. Il spécifie en outre que « la stratégie pour atteindre ces objectifs est entièrement du ressort du conseil d’administration ». Le conseil recommande de voter contre cette résolution ; il estime qu’elle « est simpliste et n’est pas pertinente ».

Pour le groupe, c’est la demande qui commande la lutte contre le changement climatique. Il précise qu’il « ne peut donc pas être tenu pour responsable de la réduction des émissions liées à l’usage des produits utilisés par ses clients », et que baisser ses émissions de scope 3 en valeur absolue « conduirait à diriger cette demande en énergie vers d’autres fournisseurs ». Parallèlement, la 14résolution présentée par le conseil d’administration de TotalEnergies propose aux actionnaires d’approuver à titre consultatif le rapport Sustainability & Climate – Progress Report 2023 du groupe. Dans ce cadre, tout récemment, le 27 avril 2023, la société a déclaré avoir accepté une offre de la firme canadienne Suncor pour ses activités dans les sables bitumineux canadiens.

La question de savoir qui est responsable du développement ou du recul d’une activité jugée néfaste ou nocive est au centre de celle de la responsabilité d’entreprise. Les partisans d’une RSE véritablement engagée estiment que la responsabilité entre l’offre et la demande est partagée. Le fait que les rejets de GES soient à la fois comptabilisés au niveau de l’offre et de l’utilisateur du produit ou du service ne change rien. Comme en comptabilité, il convient d’éliminer les doubles comptages au moment de la consolidation, mais pas dans l’examen des performances respectives des différentes entités. Il revient donc à une entreprise qui affirme être responsable d’intervenir sur l’offre, de participer énergiquement à la sensibilisation des consommateurs et des utilisateurs pour accélérer les bonnes pratiques et, le cas échéant, de se retirer des marchés jugés néfastes, y compris lorsqu’ils ne sont pas illégaux.

Ce « malentendu » entre protagonistes est à l’origine de conflits qui s’enveniment. Ainsi, le 2 novembre 2022, l’association Greenpeace France a publié une étude dans laquelle elle soutient que les rejets de GES du groupe TotalEnergies seraient près de quatre fois plus élevés que ce qu’il déclare. La riposte de la major pétrolière a tardé. Elle est survenue le 28 avril dernier à quelques jours de son assemblée générale. TotalEnergies a assigné l’organisation en justice pour « diffusion d’informations fausses et trompeuses » dans son bilan carbone. L’entreprise demande que Greenpeace supprime le rapport de son site sous astreinte de 2 000 euros par jour. Elle exige également la réparation de son préjudice avec un euro symbolique. Pour l’ONG, il s’agit d’une tactique visant à l’affaiblir à travers une procédure longue et coûteuse. Il est cependant peu probable que cette démarche décourage les associations écologistes…