Garder l’espoir

L’heure n’est pas aux réjouissances. Nos sociétés sont de plus en plus fragmentées et polarisées. Au terrible conflit qui perdure sur le sol européen, il faut ajouter les autres combats meurtriers qui ravagent de nombreuses régions du monde et que les médias oublient petit à petit, et les multiples atteintes à la démocratie. D’autres indicateurs sont malheureusement en berne et montrent que le développement humain est encore loin d’être la règle.

Dans son rapport 2022 sur les inégalités mondiales paru en janvier 2022, Oxfam déclarait que ces inégalités contribuaient à la mort de 21 300 personnes chaque jour. Plus tard dans l’année, l’association estimait que, dans le monde, 860 millions d’individus pourraient vivre avec moins de 1,90 dollar par jour d’ici la fin de 2022. La pollution serait responsable de près de 9 millions de morts prématurées par an dans le monde, d’après la revue The Lancet. Selon Global Witness, en 10 ans, au moins 1 733 défenseurs de l’environnement ont été assassinés dans le monde. Comme l’explique l’Institut international de recherche sur la paix, les dépenses militaires mondiales ont atteint 2 113 milliards de dollars en 2021, une progression de 12 % par rapport à 2012…

Mais il n’y a pas que de mauvaises nouvelles. Nous avons choisi, en guise de vœux, de rappeler quelques avancées qu’Impact Entreprises a relevées au cours de l’année 2022.

Le Chili a élu un président dont les idées progressistes suscitent l’espoir. Malheureusement, le référendum portant sur son projet de nouvelle constitution a été rejeté. Une autre mouture est en préparation. Dans le contexte de la guerre en Ukraine, l’Allemagne a décidé d’avancer de 15 ans son objectif de parvenir à une production d’électricité qui repose exclusivement sur les énergies renouvelables. La communauté internationale attend beaucoup du nouveau gouvernement australien sur le sujet du climat et de l’élection de Lula au Brésil sur de nombreux sujets, même si son parcours sera semé d’embûches.

Des législations évoluent dans les domaines des droits sociaux et des libertés individuelles.

La Malaisie, par exemple, a réformé plusieurs aspects de son Code du travail, et le Japon envisagerait de rendre obligatoire la publication par les entreprises d’informations sur la mixité et l’égalité salariale. Le gouvernement espagnol a montré l’exemple en matière d’égalité des genres en approuvant un projet de loi accordant aux femmes souffrant de règles « douloureuses et invalidantes » une incapacité temporaire de travail. La loi ouïgoure sur la prévention du travail forcé est entrée en vigueur aux États-Unis. L’Indonésie a enfin ratifié le décret destiné à protéger les migrants dans la marine marchande ; son parlement a également promulgué une loi sur la protection des données fondée sur celle de l’Union européenne.

L’Union européenne avance sur le plan de la finance verte.

L’Union a adopté sa taxonomie verte. Mais sous la pression de plusieurs États, dont la France, le règlement a intégré les activités énergétiques nucléaires et gazières fossiles comme transitoires. À l’inverse, la ville de New York a déclaré qu’elle ne considérait pas le gaz comme une énergie de transition. Toujours aux États-Unis, la Securities and Exchange Commission a annoncé qu’elle allait imposer aux entreprises cotées de divulguer des informations à leur propos liées au climat. De son côté, l’Autorité bancaire européenne a publié ses normes contraignantes concernant les informations du pilier 3 sur les risques ESG.

L’Europe avance aussi sur d’autres sujets, mais doit poursuivre ses efforts.

L’Union a décidé de taxer les importations des produits à forte intensité de carbone et a adopté une position ambitieuse contre la déforestation importée. De plus, elle a choisi de modifier des directives pour lutter contre le greenwashing et les pratiques d’obsolescence prématurée. Elle a également publié son règlement sur les services numériques qui s’appliquera dès 2023 aux très grandes plates-formes et aux très grands moteurs de recherche. Enfin, les instances européennes ont trouvé un accord provisoire pour favoriser la représentativité des femmes au sein des instances dirigeantes des sociétés cotées.

Les pays, les régions, les villes et les institutions prennent des décisions positives.

Le Honduras a renoncé à l’exploitation de nouvelles mines à ciel ouvert. Haarlem, aux Pays-Bas, est devenue la première ville à interdire la publicité pour la viande industrielle. La France a annoncé son retrait du très contesté Traité sur la charte de l’énergie. Avec d’autres pays, mais aussi avec des entreprises, elle a déclaré qu’elle soutenait un moratoire sur l’exploitation minière des grands fonds marins. L’entreprise Renault a rejoint le mouvement. Au Canada, l’opposition se mobilise sur la question du devoir de vigilance. Un juge américain a annulé l’attribution de concessions pétrolières et gazières dans le golfe du Mexique pour des motifs climatiques. La Commission côtière de Californie a rejeté un projet de dessalement d’eau de mer pour des raisons similaires.

L’engagement revêt des formes variées et rassemble de nombreuses catégories d’acteurs dans toutes les régions du monde.

En Inde, un agriculteur a fait condamner deux sociétés charbonnières pour dommages environnementaux. Aux Philippines, l’Église catholique fait pression sur les banques pour qu’elles se retirent du charbon. De plus, des associations y ont fait échouer un projet de centrale électrique au gaz naturel liquéfié porté par l’une des plus grandes sociétés du pays. Sous la pression d’organisations autochtones, le gouvernement de l’État de Sarawak (Malaisie) a annulé une concession d’huile de palme.

En Afrique du Sud, un tribunal a accédé à la plainte d’associations en interdisant à Shell de mener des explorations pétrolières et gazières le long de la Wild Coast. Au Mexique, EDF a abandonné un projet de parc éolien sous la pression des organisations de solidarité internationale et des communautés autochtones. La société minière canadienne Barrick Gold a fait l’objet d’une action en justice au Canada pour de graves violations des droits humains en Tanzanie. En France, devant l’inaction des pouvoirs publics, la CNIL a ouvert une consultation publique sur les nouvelles technologies et la vidéosurveillance dans l’espace public.

Des associations continuent de mener des actions juridiques contre les États.

Une plainte a été déposée contre l’État français pour manquement dans la protection de la biodiversité, et une action a été engagée contre le gouvernement britannique pour carence en matière climatique. En Thaïlande, des associations ont lancé un recours contre des instances gouvernementales pour ne pas avoir protégé les citoyens contre la pollution de l’air.

Certains sujets montent en puissance.

Les initiatives sur le terrain de la communication des entreprises et à l’encontre des agences de communication se multiplient. Trois associations ont assigné TotalEnergies en justice pour pratiques commerciales trompeuses. Au Royaume-Uni, une publicité de la marque Persil a été interdite pour greenwashing. L’Advertising Standards Authority britannique a averti HSBC quant à sa communication comportant des allégations environnementales. Des organisations australiennes ont porté plainte contre Glencore pour communication trompeuse, et l’organisme australien en charge de la réglementation des marchés financiers (l’ASIC) a infligé la première amende pour greenwashing à une société énergétique nationale.

Le respect des droits humains est un autre axe d’action.

Ainsi, deux associations ont attaqué le gouvernement britannique pour ne pas avoir enquêté sur les importations d’articles en coton produits par des travailleurs forcés ouïgours. Les entreprises aussi sont la cible de ce type d’action. C’est le cas de Meta, dont les plates-formes comme Facebook sont accusées d’avoir attisé la haine dans le contexte du conflit dans la région du Tigré. Des associations ont déposé une plainte contre Dassault Aviation, Thales et MBDA France pour complicité de crimes de guerre et crimes contre l’humanité présumés au Yémen.

Les salariés, les syndicats et les étudiants sont de plus en plus actifs.

Les étudiants s’opposent désormais ouvertement aux entreprises dont ils n’approuvent pas les activités. Au Japon, de jeunes militants se dressent contre le financement par leurs instances nationales de centrales à charbon à l’étranger. Les États-Unis assistent à un renouveau du syndicalisme, notamment chez Amazon et chez Starbucks. Les salariés aussi s’impliquent. Des employés de Salesforce ont ainsi demandé à la direction de leur firme de couper toute relation commerciale avec la National Rifle Association.

Les entreprises aussi s’expriment, s’impliquent, innovent.

Au Royaume-Uni, des entreprises réclament que la loi oblige les patrons à prendre en compte les intérêts de toutes les parties prenantes. Patagonia a rejoint une coalition qui porte plainte contre un projet d’exploitation forestière en Californie. Une société écossaise, Faith in Nature, a nommé au sein de son conseil une administratrice qui représente spécifiquement la nature.

L’engagement actionnarial continue d’être dynamique, surtout outre-Atlantique, mais pas uniquement.

Les questions de la diversité et de l’égalité salariale prennent une place importante dans l’engagement actionnarial, comme chez Walt Disney Company ou chez Apple. Aux États-Unis, les fiduciaires des régimes de retraite pourraient tenir compte des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) lorsqu’ils s’occupent des actifs des caisses de retraite. En Californie, les fonds de retraite des fonctionnaires devront céder leurs investissements dans les sociétés fossiles. Mais la prise en compte de critères ESG dans les investissements devient un champ de bataille entre républicains et démocrates. La ville de New York utilise son pouvoir d’actionnaire pour faire bouger Starbucks et BlackRock sur la liberté syndicale et le climat.

Au Royaume-Uni, une association a engagé une action juridique contre 13 administrateurs de Shell pour ne pas avoir correctement pris en compte les risques que le changement climatique faisait peser sur l’entreprise. Après une bataille boursière, le premier énergéticien d’Australie s’est doté d’un conseil d’administration favorable à une transition énergétique rapide.

Mais la route est encore longue en ce qui concerne la responsabilité d’entreprise.

Il est attristant qu’il faille encore que se produise un scandale ou un drame pour observer des réactions significatives dans les démarches de responsabilité des entreprises. C’est le cas d’ORPEA et de Teleperformance, qui ont signé des accords mondiaux avec la fédération syndicale internationale UNI Global Union. Pour la première, c’était à la suite des révélations de la gestion scandaleuse de ses EHPAD. Pour la seconde, c’était après la découverte des conditions de travail indignes de ses salariés colombiens modérant les vidéos de TikTok.

Cela étant, des entreprises commencent enfin à intervenir concrètement sur leurs chaînes d’approvisionnement. Au Royaume-Uni, 21 % des grandes enseignes de distribution ont rompu des contrats avec leurs fournisseurs pour des raisons sociales ou environnementales. Le groupe Nestlé va consacrer 1,3 milliard de francs suisses pour améliorer le revenu des agriculteurs qui le fournissent en cacao. La société britannique Victoria’s Secret s’est engagée à avancer la somme nécessaire à l’indemnisation des salariés licenciés par l’un de ses fournisseurs de vêtements thaïlandais à la suite de la crise sanitaire.

Alors, en 2023, gardons l’espoir et continuons d’agir…